Cannes 2025 - RENCONTRE AVEC LAURI-MATTI PARPPEI : « Je ne sépare pas le cinéma de la musique »

© Siiri Halko

Le·a cinéaste finlandais·e, première personne non binaire sélectionnée à l’Acid, y a présenté son premier long-métrage, A light that never goes out. Ce film sensible suit un musicien classique aux tendances suicidaires qui se met à la musique expérimentale. Nous avons rencontré Lauri-Matti Parppei pour parler de son rapport à la musique et la part autobiographique de son oeuvre. 

Pauli, protagoniste de votre premier film, A light that never goes out, est un flûtiste professionnel dépressif, qui reprend peu à peu goût à la vie en se tournant vers la musique expérimentale. Comment l’avez-vous imaginé ?

L-M. P. : Je suis né·e et j’ai grandi dans une petite ville finlandaise. J’étais un·e adolescent·e très solitaire donc j’ai commencé à faire de la musique bizarre. Grâce à cela, j’ai trouvé des amis. J’avais essayé d’écrire un roman à ce sujet mais ce fut un échec. J’étais un·e très mauvais·e écrivain·e et je ne l’ai même pas terminé. Mais depuis, quelque chose est resté, je sentais qu’il fallait que je parle de l’ethos de faire de la musique, de cette valeur que peut avoir l’art. C’est important pour certaines personnes mais pour les gens comme moi, cela change notre vie. Pauli et Iiris [la jeune femme qui l’initie à la musique expérimentale et devient son amie, ndlr] sont moi à différents moments de ma vie. Et si le nouveau moi, cinéaste, devait rencontrer l’ancien, il y aurait sûrement une dispute comme celle qu’ont Pauli et Iiris dans le film.

En quoi l’expérience de la réalisation est-elle proche ou, au contraire, différente de celle de faire de la musique ?

La musique expérimentale, c’est chaotique : il vous suffit de louer, acheter, voire voler n’importe quel truc pour en tirer du son. Même pas besoin de l’enregistrer, car l’œuvre se niche dans la performance elle-même, elle existe dans le moment. Faire un film, c’est tout l’inverse : c’est très hiérarchisé, vous devez faire appel à l’establishment pour demander de l’argent…

Pourquoi avoir choisi le cinéma après l’échec de la littérature ?

J’ai travaillé comme designer graphique pour payer mes expérimentations musicales. J’ai commencé à faire quelques clips et je me suis aperçu·e que le cinéma réunissait tous mes centres d’intérêt, de la musique à l’image en passant par l’écriture. Et puis le cinéma est une forme d’art éminemment collective. J’ai fait de la musique avec des amis, désormais je tourne des films avec eux. Je ne suis pas le·a meilleur·e artiste seul·e, mais avoir des gens autour me permet d’exprimer le meilleur de moi-même.

Quel est votre rapport à la musique en général, et à la musique au cinéma en particulier ?

Cela m’a permis de trouver ma place dans le monde. Elle m’a sauvé·e, moi qui étais si seul·e et si déprimé·e dans ma jeunesse. L’idée n’a jamais été d’avoir du succès mais j’y ai trouvé une famille. Je ne sépare pas le cinéma de la musique. Dans mon film d’ailleurs, c’est moi qui ai produit la musique. Quand je n’arrivais plus à écrire, je composais, et quand je ne parvenais plus à composer, j’écrivais des scènes. La musique fait partie de mon approche scénaristique.

© Made

Vous aviez composé à l’avance la musique expérimentale que l’on peut entendre dans le film ou bien vous avez laissé place à l’improvisation ?

Merci beaucoup d’appeler composition le fait de mettre des choses dans un blender [rires] ! Disons que j’avais une idée générale de ce que je voulais, j’avais écrit les changements que je voulais entendre dans la musique ainsi que des paroles, et le scénario décrivait assez méticuleusement ce qu’il était censé se passer. Mais lorsque j’ai commencé les répétitions avec les acteur·ices, j’ai été très heureu·se de constater que j’avais trouvé des gens qui accordent beaucoup d’attention à la musique. Iels ont vraiment formé un groupe, et nous avons répété autant la musique que l’acting. Nous avions des boîtes pleines de trucs bizarres à utiliser… Maintenant que j’y pense, les personnages sont nés, eux aussi, de la façon dont les acteur·ices se sont emparé des instruments. Toute la musique qu’on entend dans le film, y compris celle du générique de fin, est celle qui a été jouée sur le plateau.

A light that never goes out parle frontalement de la dépression. Les pays nordiques sont souvent décrits chez nous comme des sociétés quasi parfaites. Existe-t-il encore des tabous chez vous autour de la santé mentale ?

Vous n’avez pas le cliché des Finlandais déprimés ? Pourtant, la Finlande a eu pendant un temps l’un des taux de suicide les plus élevés… Je pense que c’est une société globalement heureuse et libre. Mais si vous regardez de plus près, vous voyez qu’il subsiste des traumas, notamment issus de la Seconde Guerre mondiale. Certains problèmes ne sont pas pris en compte, comme la solitude. La société finlandaise n’est pas la plus sociable en réalité, donc dès que quelqu’un commence à se mettre en retrait, il est probable qu’iel s’enfonce vers la solitude. On ne se parle que peu, à moins d’être des ami·es très proches. J’ai eu la chance de grandir dans un cercle au sein duquel il y a eu des morts et des malheurs, certes, mais où nous nous sommes sauvés les uns les autres. C’est ce que je voulais montrer dans le film : souligner le pouvoir guérisseur de la créativité et de la communauté pour, peut-être, donner de l’espoir aux gens qui se sentent seuls.

Comment avez-vous gardé un équilibre entre les moments franchement comiques et la gravité du thème principal de votre film ?

Je voulais montrer autre chose que les clichés de la dépression. Déjà, il faut savoir que la dépression est fondamentalement ennuyeuse. Globalement, vous ne faites rien, ce qui peut d’ailleurs avoir un aspect assez comique. Mais vous avez aussi des moments joyeux dans votre vie. Cela dit, c’était assez effrayant de garder deux tons très différents, certaines scènes me semblaient très bêtes.

Votre mise en scène est assez classique mais vous alternez beaucoup entre les plans fixes et la caméra à l’épaule…

Dès le départ, nous voulions tourner caméra à l’épaule avec Iiris et en plan fixe avec Pauli. Cela permet de montrer aussi l’approche assez classique que Pauli a de l’existence. Globalement, nous avons choisi de ne pas être trop punk dans la mise en scène parce que la musique est déjà très étrange et cela aurait diminué son impact.

Propos recueillis par Margaux Baralon

A Light that never goes out

Réalisé par Lauri-Matti Parppei

Avec Samuel Kujala, Anna Rosaliina Kauno, Camille Auer

Ce film est présenté dans la sélection Acid au Festival de Cannes 2025.

Pauli, flûtiste classique, retourne dans sa petite ville natale pour se remettre d’une dépression. Retrouvant une ancienne camarade de classe, il se laisse séduire par la musique expérimentale. Pauli, qui a toujours recherché la perfection, est séduit par son énergie chaotique et trouve du réconfort dans leurs expérimentations sonores.

En salles prochainement.

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