Festival de Dinard 2025 – RENCONTRE AVEC JOY GHARORO-AKPOJOTOR – « On peut trouver de la joie dans les endroits les plus désespérés »

Dans Dreamers, la productrice et primo-réalisatrice anglaise mêle film social et histoire d’amour en racontant la romance de deux femmes immigrées au cœur d’un centre de rétention à Londres. Une œuvre aussi solaire que choc dont elle nous détaille la création.

Comment avez-vous eu l’idée d’écrire sur un centre de rétention ? Quelle est la première image qui vous est venue ?

C’est un lieu que j’ai connu. Pendant que j’étais enfermée, j’ai bien vu que les immigrés n’étaient pas considérés comme des êtres humains. Nous étions simplement des nombres. Je me rappelle encore mon arrivée dans le centre. Je suis entrée et je suis passée par un couloir où l’on devait prendre mes empreintes digitales. Par la porte, je pouvais entendre les auditions des autres. J’ai compris au ton de la voix de l’officier qu’il était déjà agacé. Il était neuf heures du matin. Il se trouvait devant des gens qui demandaient l’asile et il n’avait déjà pas envie de les écouter…

Je me suis demandé comment je pouvais rendre à ces personnes l’humanité qu’on leur avait enlevée. La première image qui m’est venue pour le film était donc le visage de mon personnage principal, Iso. Je la voyais forte. C’est à partir de là que Dreamers s’est construit.

Vos actrices sont absolument incroyables, notamment les deux principales, Ronkẹ Adékọluẹ́jọ́ et Ann Akinjirin, qui incarnent respectivement Isio et Farah, ces deux femmes qui se soutiennent et entament une romance. Comment les avez-vous choisies ?

J’avais déjà travaillé avec ces deux actrices sur des projets que j’avais produits. Pour moi, tout était une question d’alchimie. Ce sont deux personnalités très opposées, mais nous n’avons aucun mal à les imaginer être amies ou plus. Après, en ce qui concerne toutes les actrices qui jouent leur entourage, je me suis inspirée de leurs caractères et de leurs manières d’interagir entre elles pour créer leurs personnages.

Dans Dreamers, on remarque le travail des lumières avec ces passages du bleu au rouge… Comment l’avez-vous pensé ?

J’ai écrit une histoire d’amour et je voulais que cela se voie à l’image. Au départ, j’utilise des lumières froides, puis, au fur et à mesure que mes personnages se rapprochent, la lumière se réchauffe. Cet espace qui leur appartient détonne avec le reste du centre de détention qui demeure sans couleur. C’était ma manière de dire qu’au cœur de ces lieux difficiles, on peut toujours trouver de l’amour. C’est aussi mon expérience en tant qu’immigrante : je sais qu’on peut trouver de la joie dans les endroits les plus désespérés.

© The Yellow Affair

Aviez-vous des références en tête pour écrire votre scénario ?

J’avais deux films en tête : In the Mood for Love de Wong Kar-wai, et Joy de Sudabeh Mortezai qui parle de prostituées nigérianes en Autriche. Ce dernier a vraiment été une inspiration en ce qui concerne les couleurs et la manière de filmer le corps de femmes.  

Dans votre film, on ne voit presque pas d’hommes. À chaque fois, les gardiens sont dans un coin de l’image ou alors floutés par une mise au point un peu embrumée…

C’était tout à fait réfléchi. On sent qu’ils sont présents afin de montrer l’autorité et l’oppression, mais ils n’ont presque jamais droit à la parole. Pour moi, il était important de montrer que je ne raconte pas leurs histoires mais celles des femmes qui sont enfermées. Pourtant, dans la plupart des films du même genre, on trouve un arc narratif de rédemption pour un gardien. Car les gens qui font ces films sont généralement des hommes ou des femmes blanches qui ne savent pas ce que c’est que d’être un migrant, donc ils veulent se retrouver dans un personnage qui se trouve être la figure d’autorité.

Moi, ce que je voulais raconter, c’est l’histoire d’une femme qui se trouve en cet endroit, grâce aux connexions qu’elle établit, à l’amitié et à la romance. Cela n’a rien à voir avec les gardes ou le système.

La première du film en Angleterre a lieu la semaine prochaine. Qu’attendez-vous comme réaction de la part du public ? Quel message principal vouliez-vous faire passer ?

Je veux que les gens voient l’histoire d’une femme qui est capable de se trouver, de faire des choix. J’aimerais qu’ils se laissent embarquer par cette romance. Et enfin, je voudrais qu’ils se questionnent sur la façon dont on traite les immigrés.

Vous êtes productrice à l’origine. Comment s’est passé ce saut vers la réalisation ?

Quand on produit, on a énormément de problèmes à gérer. Et quand on réalise, on en a beaucoup moins, car quelqu’un s’occupe de les gérer pour nous ! Emily Morgan, ma productrice, a fait un travail formidable.

En tant que productrice, je connais aussi très bien les différents corps de métiers. Il était donc beaucoup plus simple pour moi de déléguer et de collaborer.

Avez-vous déjà d’autres idées de réalisation ?

J’en ai deux, à vrai dire ! La première est une rom com queer. La deuxième est l’adaptation du roman Ordinary People de Diana Evans [qui raconte l’histoire de deux couples de quarantenaires faisant face à des difficultés économiques, ndlr], que je qualifierais de romance non romantique. Je pense que mon but est de faire des œuvres qui donnent envie aux gens de tomber amoureux…

Propos recueillis par Enora Abry

Dreamers

Réalisé par Joy Gharoro-Akpojotor

Avec Ronkẹ Adékọluẹ́jọ́, Ann Akinjirin, Harriet Webb

Isio, une migrante nigériane, est arrêtée et envoyée dans un centre de rétention après avoir vécu illégalement au Royaume-Uni pendant deux ans. Elle espère que sa demande d'asile sera examinée de manière objective. Elle est convaincue que la seule chose à faire est de respecter les règles, mais sa nouvelle colocataire charismatique, Farah, lui dit que ce n'est pas la bonne solution. Isio se rend compte qu'elle tombe amoureuse de Farah. Ses convictions commencent à faiblir tandis que ses demandes d'asile sont rejetées.

En salles prochainement.

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