RENCONTRE AVEC CÉCILE DE FRANCE, DIANE ROUXEL ET SALOMÉ DEWAELS – « Nous avons adoré jouer avec les attentes du spectateur »
© 2024 GABMAN - LA BOÉTIE - SCOPE PICTURES - RTBF - VOO Be tv - PROXIMUS
Dans Louise de Nicolas Keitel, elles incarnent trois femmes dont la vie de famille a été brisée par la violence et les secrets. Ensemble, elles détaillent la manière dont elles ont pensé leurs personnages et leurs jeux toujours sur le fil. Interview.
Le scénario de Louise est assez complexe et se déroule sur deux temporalités différentes. Qui pourrait résumer au mieux l’intrigue en évitant les spoils ?
Diane Rouxel : Puisque je joue le personnage principal, je m’y colle ! Dans Louise, j’interprète Marion, une jeune fille qui, après un incident dans sa famille, fuit avec son père en Belgique. Quinze ans plus tard, alors qu’elle a changé d’identité pour devenir Louise, une journaliste, elle retrouve la trace de sa mère [interprétée par Cécile de France, ndlr] et de sa sœur [Salomé Dewaels, ndlr]. Elle reprend contact avec elles sous prétexte d’écrire des articles sur leurs activités respectives [la mère a fondé une association et la fille est musicienne, ndlr]. C’est alors que se pose le dilemme de savoir si elle va dévoiler ou non sa véritable identité.
Louise est le premier long-métrage de Nicolas Keitel. Qu’est-ce qui vous a donné envie de participer à ce projet ? Comment vous a-t-il présenté le scénario ?
Salomé Dewaels : Je peux parler pour nous trois en disant que ce scénario nous a toutes bouleversées. On a pleuré à la lecture. Nicolas l’a écrit avec une grande sincérité et une certaine nécessité. Nous voulions vraiment partager cette histoire avec lui. Puis, nous sentions que nous pouvions vraiment explorer notre potentiel de jeu avec ce scénario.
Justement, en parlant de jeu… Diane, votre personnage retrouve sa mère et sa sœur sans pouvoir leur dire qui elle est. Elle est donc traversée par de grandes émotions qu’elle se doit de contenir. Comment avez-vous imaginé ce jeu sur le fil du rasoir ?
DR : Dans le film, tous nos personnages portent un masque social. En ce qui concerne Louise/Marion, celui-ci est en train de se fissurer, car c’est une personne qui s’est construite toute sa vie avec une grande souffrance. Nous en avons longuement parlé avec Nicolas Keitel et nous avons apprécié cette dualité : elle ment, mais en même temps tout se voit sur son visage, à chaque geste, à chaque regard. J’avais peur d’en faire trop parfois, mais il y tenait. Il voulait vraiment que le spectateur soit avec elle et ressente ses émotions [ce choix est par ailleurs visible dans la réalisation qui multiplie les plans rapprochés sur le visage de Louise, ndlr].
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Cécile, votre personnage, Catherine, est victime de violences conjugales au début du film. On la retrouve plus tard, alors qu’elle a cofondé une association d’aide aux victimes de ces violences. Comment avez-vous pensé l’évolution de ce personnage et comment avez-vous adapté votre jeu entre ces deux périodes de sa vie ?
Cécile de France : Il y avait tellement de choses à jouer ! Au départ, je suis mère de deux petites filles, Marion et Jeanne. Puis, on me revoit quinze ans plus tard alors que la fille qui me reste est devenue adulte. C’est superbe pour moi car, à mon âge, je n’ai aucun souci pour faire les deux !
Entre la première et deuxième période, il fallait penser la cassure qui a lieu à cause du drame familial. Au début, j’incarne une femme sous emprise, qui a probablement une grande carence affective. Après le drame, la flamme qui restait en elle s’est éteinte. J’ai d’abord pensé ce changement physiquement. Avec la formidable maquilleuse Kaatje Van Damme, nous avons réfléchi à la façon dont représenter cette femme brisée, avec les cheveux blanchis, le visage dur. Mais il fallait aussi mettre en lumière l’incroyable parcours de résilience de ce personnage, qui continue à tenir debout et qui se sert de son expérience pour fonder une association. Avec Nicolas, rien n’est binaire, tout est complexe et nuancé. Nous ne voulions pas réitérer des clichés.
Imaginez, pour raconter cela, je n’avais que dix jours ! Heureusement, tout tient en quelques scènes grâce à la finesse de l’écriture de Nicolas.
Salomé, vous incarnez Jeanne, la petite sœur de Marion/Louise. Votre personnage est celui qui en sait le moins, car Jeanne était trop jeune au moment des faits, et elle s’est construite sur des secrets, avec une forme de deuil d’une situation familiale qu’elle a finalement peu connue. Comment l’avez-vous pensé ?
SD : Je n’ai pas voulu trop psychologiser le personnage. Je la vois comme une jeune femme qui fait de la musique, qui vit avec sa mère et surtout avec ce silence. Dans leur famille, elles ne parlent pas du passé. J’ai essayé d’apporter un côté solaire, de ne pas entrer trop rapidement dans le drame.
Diane, comment est-ce que vous interprétez le choix de votre personnage qui n’ose pas dire à sa famille qui elle est et commence à leur mentir ?
DR : Si elle parle, tout explose ! Elle a l’impression que sa mère et sa sœur ont réussi à construire une vie heureuse sans elle. Mais le problème est qu’elles mentent aussi en faisant bonne figure.
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Avec tous ces mensonges et ces non-dits, il y a de grands moments de silence et de gêne dans le film [notamment lors d’une scène où Louise est invitée à dîner chez Catherine et Jeanne et ne parvient pas à répondre à leurs questions sur sa vie, ndlr]. Comment est-ce qu’on parvient à jouer ensemble, et avec ces silences ?
CDF : Justement, c’est hyper amusant ! On a conscience de ce que peut ressentir le spectateur, alors on joue avec ses attentes. On s’amuse à faire durer ces silences, cette gêne. On veut titiller sa patience. Nicolas a aussi finement choisi ses plans au montage pour montrer des réactions ou des regards sur lesquels on n’insisterait pas dans d’autres films. Louise, c’est vraiment un film de suspens.
Dernière question, spéciale Sorociné : avez-vous des films qui ont participé à votre éveil féministe ?
CDF : Je dirais Orlando de Sally Potter [sorti en 1993, ce film est une adaptation du roman éponyme de Virginia Woolf racontant, sur plusieurs siècles, l’histoire d’un jeune homme immortel qui un jour se réveille en femme, ndlr]. L’actrice principale, Tilda Swinton, a été un véritable modèle pour moi. J’ai vu ce film à 18 ans et j’ai alors compris qu’on pouvait tout jouer, les hommes, les femmes, un jeune, une vieille… Cela m’a donné le feu vert pour jouer des rôles très différents tout au long de ma carrière.
SD : Je citerais plutôt un livre. Je me suis rendu compte récemment en triant ma bibliothèque que tous les grands classiques qu’on m’avait demandé de lire durant ma scolarité étaient écrits par des hommes. J’avais besoin de récréer ma bibliothèque en intégrant des autrices. C’est alors que je suis tombée sur le livre Sororité, écrit par un collectif d’autrices sous la direction de la romancière Chloé Delaume [publié en 2021, il contient des textes de fiction ou des essais rédigés par différentes personnalités comme Alice Coffin, Iris Brey, Lydie Salvayre ou encore Juliette Armanet, ndlr]. C’est un livre qui m’accompagne souvent dans mon sac à main. J’ai vraiment besoin de me nourrir de récits de femmes, de films réalisés par des femmes. Je trouve ça libérateur. Cela m’aide à m’autoriser plein de choses.
DR : Je pense aussi à la littérature. J’ai découvert bell hooks récemment [militante et écrivaine américaine qui a notamment théorisé le black feminism, ndlr] et cela m’a ouvert les yeux.
Propos recueillis par Enora Abry
Louise
Réalisé par Nicolas Keitel
Avec Diane Rouxel, Cécile de France, Salomé Dewaels
Suite à un incident, la jeune Marion décide de fuguer du domicile familial. Elle démarre alors une nouvelle vie sous une autre identité : Louise. Quinze ans plus tard, "Louise" retrouve la trace de sa sœur et de sa mère. Petit à petit, elle réapprend à les connaître sans leur dévoiler son identité. Alors qu'elle renoue avec son passé, un dilemme s'impose à elle : rester Louise ou redevenir Marion…
En salles le 10 décembre.