AUX JOURS QUI VIENNENT – Nathalie Najem

© Paname Distribution

Itinéraire de la violence

En racontant le destin croisé de deux femmes liées par la violence d’un homme, Nathalie Najem livre un film tout aussi puissant que subtil sur les violences conjugales dans lequel brillent ses interprètes : Zita Hanrot, Alexia Chardard et Bastien Bouillon.

Si, au Festival de Cannes, Bastien Bouillon nous a fait rêver dans Partir un jour d’Amélie Bonnin et Connemara d’Alex Lutz, le crush est bel et bien terminé. Dans le premier long-métrage en tant que réalisatrice de Nathalie Najem, il incarne Joachim, un homme en apparence tendre et charmeur dont les travers et la violence nous sont montrés à travers les yeux des deux femmes qui ont partagé sa vie. À Nice, il y a Laura (Zita Hanrot), son ancienne compagne et mère de sa fille Lou (Maya Hirsbein). En Italie, il y a Shirine (Alexia Chardard) avec qui il a refait sa vie depuis plusieurs mois. Suivant la reconstruction de l’une et l’emprise subie par l’autre, Nathalie Najem trace non seulement la trajectoire de la violence d’un homme, mais aussi le parcours d’assujettissement puis d’émancipation de ses victimes.

Jusqu’à la claque

C’est un film qui prend son temps. Pas question de verser dans le sensationnalisme ou la surexplication. Nathalie Najem pose sa caméra et laisse ses personnages exister. Pourtant, la tension, sans qu’on en comprenne exactement l’origine, est déjà là. Est-ce le téléphone de Laura qui ne cesse de sonner ? La manière, visiblement stressée, de Joachim d’attendre Shirine en bas d’un immeuble en fumant clope sur clope ? S’attachant à retranscrire en quelques plans bien choisis les émotions des deux femmes qu’elle portraiture, la réalisatrice met rapidement le spectateur en état d’alerte. Même les belles scènes d’embrassades des amoureux sous le soleil d’Italie ne parviennent pas à calmer cette impression de malaise.

Finement, Nathalie Najem déroule son scénario en jouant avec la limite entre l’acceptable et l’inacceptable. Joachim appelle Laura toute la journée car il veut parler à sa fille pour son anniversaire – harcèlement ou pas ? Joachim interrompt une réunion professionnelle de Shirine car ils sont en retard à un autre rendez-vous important – normal ou non ? Si les actes peuvent paraître tolérables, la manière dont Nathalie Najem les met en scène, faisant ressentir la gêne ou la peur qu’ils génèrent chez ses héroïnes, aide le spectateur à se faire son avis.

© Paname Distribution

À l’instar de L’Amour et les Forêts de Valérie Donzelli ou de l’excellente série espagnole Querer (qui s’était d’ailleurs glissée en tête de notre top des séries présentées au festival Séries Mania cette année), Aux jours qui viennent continue la déconstruction de la figure de l’homme auteur de violence. Joachim n’élève pas la voix, ou peu, n’insulte pas et surtout ne frappe pas. Les quelques moments d'intimité avec sa conjointe le montrent d’ailleurs particulièrement doux et sensible. Mais parfois, il ordonne, s’immisce dans sa vie professionnelle, lui arrache le téléphone des mains, la pousse au besoin. Plaçant certaines de ces séquences dans l’espace public (rue, tram), la réalisatrice pointe aussi du doigt l’indulgence des passants (et la nôtre) envers ce type de comportement – cette même indulgence qui a longtemps donné lieu à la fameuse phrase : « Tant qu’il ne la frappe pas… ». 

État d’alerte

Toujours dans la même ligne, Aux jours qui viennent poursuit la déconstruction des clichés accolés aux victimes. Shirine n’est pas aveuglée par un amour tout-puissant ou complètement soumise aux sautes d’humeur de son conjoint. Les yeux grands ouverts, elle demeure en état d’alerte. Oscillant entre son affection pour lui (dont on devine qu’elle s’est déjà bien étiolée) et la peur qu’il suscite, elle tente de maintenir la paix sans pour autant céder à ses emportements. De son côté, Laura, si elle ne souhaite pas couper entièrement les ponts avec le père de sa fille pour le bien de cette dernière, impose clairement ses limites. Et il en est de même pour la petite Lou qui sait reconnaître ses écarts et ressentir le stress de sa mère – un point de vue rare car souvent inexploité que celui de l’enfant dans les récits sur les violences conjugales.

Le rapprochement des trois personnages féminins (à la suite d’une fuite de Shirine vers Nice) va permettre au film de flirter avec différents genres, passant du drame personnel au récit de survie collectif, sans pour autant tomber dans le spectaculaire (les derniers plans mis à part – dommage !). Ainsi, Nathalie Najem parvient à livrer un long-métrage aussi fin que rythmé dans lequel sont distillées quelques belles scènes de sororité sans artificialité.

ENORA ABRY

Aux jours qui viennent

Réalisé par Nathalie Najem

Avec Zita Hanrot, Bastien Bouillon, Alexia Chardard

Nice, de nos jours. Laura, la trentaine, essaie de se reconstruire après une relation tumultueuse avec Joachim. Elle mène une vie en apparence tranquille, en élevant seule sa petite fille. Mais l’accident de Shirine, la nouvelle compagne de Joachim, va faire ressurgir son passé. Les deux femmes, en proie à la violence du même homme, vont peu à peu se soutenir…

En salles le 23 juillet 2025.

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