Cannes 2025 - PARTIR UN JOUR - Amélie Bonnin
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Vertige de l’amour
La réalisatrice Amélie Bonnin adapte au format long son court-métrage césarisé Partir Un Jour, toujours entourée du duo Juliette Armanet-Bastien Bouillon. Une fantaisie musicale où se côtoient mélancolie amoureuse et chronique familiale, dont le charme opère dès les premières notes.
Un cinéma « en-chanté ». Jacques Demy décrivait par cette jolie pirouette linguistique son style à qui lui demandait de le caractériser. Enchanter le réel en chansons, telle fut l’envie du cinéaste qui initia un modèle de comédie musicale à la française. Si Amélie Bonnin s’inscrit dans cette tradition, ne cherchez pas chez elle maisons colorées et robes pailletées. La réalisatrice travaille dans un décor naturaliste, celui d’un relais routier de la France périphérique, poussant ainsi encore plus loin que Christophe Honoré – autre maître du genre – la veine réaliste du musical tricolore. Pourtant, il y a bien une magie qui se dégage de Partir un jour. Celle des retrouvailles, de la mélancolie du temps qui passe et des sentiments trop longtemps enfouis qui explosent en une chanson. On y suit Cécile, Top Cheffe sur le point d’ouvrir sa table gastronomique à Paris, de retour dans son patelin natal pour convaincre son père, lui aussi cuisinier dans ce fameux relais routier, de quitter les fourneaux. Un retour rapidement pimenté par sa rencontre avec un ancien amour de jeunesse, Raphaël.
Mais ne développons pas tout de suite la fibre musicale – calmons la fan de comédie musicale et de variété en nous. Car Partir un jour, heureusement, n’est pas qu’un simple exercice de style. La musicalité du film ne vient qu’accentuer son propos sur le transfuge social et la mélancolie ressentie aux carrefours d’une vie. Le scénario d’Amélie Bonnin, coécrit avec Dimitri Lucas, reprend le principe de son court-métrage éponyme, césarisé en 2023, mais échange judicieusement les rôles tenus par Juliette Armanet et Bastien Bouillon. L’écrivain à succès du court devient une cheffe en route vers les étoiles, tandis que la caissière enceinte se transforme en garagiste peroxydé déjà papa. De second rôle, Juliette Armanet devient ainsi le centre du récit. Amélie Bonnin approfondit sa réflexion sur la figure du transfuge de classe en la féminisant, avec la bonne idée de faire de cette femme non pas une autrice, ou autre profession intellectuelle, qui de fait l’aurait marquée d’une étiquette élitiste, mais une cheffe qui doit sa réussite médiatique à un concours de téléréalité. Son héroïne reste ainsi une personnalité rattachée de manière tangible à quelque chose d’extrêmement populaire, le poste de télévision sur lequel tout son village a suivi son parcours, tout en s’intégrant à un univers extrêmement cloisonné, celui de la haute gastronomie destinée à une tranche infime de la population. Ajoutons aussi que cette profession restant un bastion masculin, faire de l’héroïne de Partir un jour une cheffe en pleine ascension relève du geste politique.
Son retour au bercail se situe également à un moment charnière pour le personnage de Cécile, avec d’un côté l’ouverture imminente du restaurant, de l’autre la découverte d’une grossesse inattendue, qui viennent tout chambouler. Un carrefour plutôt bien exploité à l’écriture, même s’il offre un terrain un peu balisé aux réflexions sur la question du choix, des regards jetés vers le passé et de l’héritage parental. On a, c’est vrai, déjà vu ça, mais rarement saupoudré d’autant de charme. Aux arcs narratifs de Cécile, sur son couple, son ex et la recherche de la recette parfaite, on préférera d’ailleurs celui, plus discret, du couple de parents. Des personnages présents dans le court-métrage (François Rollin rempile dans un rôle similaire, accompagné cette fois de Dominique Blanc qu’on prend toujours plaisir à retrouver), qui trouvent ici une place de choix, Amélie Bonnin les filmant à un moment pas si souvent abordé au cinéma. Celui de la retraite, quand il faut lâcher un pan de sa vie et se retrouver finalement seul en tête à tête avec sa moitié et cette question : que nous reste-t-il à partager ?
Paroles, paroles…
Au milieu de toutes ces retrouvailles familiales et romantiques, où on lève enfin le voile, la musique arrive comme une petite mélodie qui vous trotte dans la tête puis finit par envahir l’espace, traduisant les émotions de personnages qui trouvent par les paroles des tubes d’hier un moyen d’évacuer les tourments du présent ou de s’ouvrir à l’autre. Car oui, on y arrive, Partir un jour, comme son titre issu du répertoire des 2Be3 l’annonce, appartient au sous-genre du « film-jukebox ». La cinéaste entrecoupe ses dialogues de chansons issues du répertoire français, et dessine la bande originale d’une vie, de 30 à 77 ans, entre Dalida, K. Maro, Michel Delpech et Céline Dion. Si, dans le court-métrage, le naturalisme était de mise, les tableaux sont cette fois plus chorégraphiés, ou éclairés parfois plus artificiellement pour appuyer la rêverie dans laquelle les personnages se laissent aller sur certains morceaux. Morceaux auxquels on s’identifie souvent. Avouez, qui n’a pas pleuré ou dansé sur des paroles qu’on aurait dit à un moment de notre vie comme écrites pour nous ? Si on se doute que le public étranger ou la gen Z ne ressentira pas les vibrations de la corde nostalgique que le film fait vibrer, une de ses fragilités, celles et ceux qui ont, comme les personnages, grandi (ou vieilli) avec ces standards seront forcément touché·es par celle-ci. Des tubes parfois désuets auxquels Amélie Bonnin redonne une nouvelle vie en travaillant la profondeur des paroles pour les articuler au mieux avec ses dialogues. Nombre de chansons commencent ainsi à parler avant de se mettre en musique. Elle joue aussi de la connivence des spectateurs avec les règles installées, déjouant les attentes quand résonnent par exemple les accords d’une célèbre ballade de Francis Cabrel. Une mélodie stoppée dans son élan par l’arrivée d’un personnage et qu’on n’entendra finalement jamais.
Le casting s’en donne évidemment à cœur joie. Si Juliette Armanet apporte à Cécile une sensibilité que l’on connaissait de l’artiste, et qu’on aime la malice de Dominique Blanc et François Rollin, c’est surtout Bastien Bouillon qui surprend. Le comédien, dont on a surtout vu la gravité ces dernières années dans La Nuit du 12 ou Le Comte de Monte-Cristo, laisse libre cours à sa fantaisie avec un personnage drôle et charmeur, dont il a participé à la réécriture avec la réalisatrice. La performance vocale n’est pas forcément là (tout a d’ailleurs été chanté en live), mais l’alchimie avec Armanet provoque, comme dans la première esquisse, des étincelles à l’écran. Ouverture surprise de la sélection du Festival de Cannes 2025 (c’est la première fois qu’un premier film obtient cette vitrine), Partir un jour démarre les festivités sur une note sucrée et romantique. Cette soirée-là, on ne l’oubliera pas.
ALICIA ARPAÏA
Partir Un Jour
Réalisé par Amélie Bonnin
Avec Juliette Armanet, Bastien Bouillon, François Rollin
France , 2025
Ce film est présenté en hors-compétition au Festival de Cannes 2025 et en fait l'ouverture.
Alors que Cécile s’apprête à réaliser son rêve, ouvrir son propre restaurant gastronomique, elle doit rentrer dans le village de son enfance à la suite de l'infarctus de son père. Loin de l'agitation parisienne, elle recroise son amour de jeunesse. Ses souvenirs ressurgissent et ses certitudes vacillent…
En salles le 13 mai 2025