CHRONIQUE DU MATRIMOINE #5 : L’Amie de Margarethe von Trotta
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Alors qu’Ingeborg Bachmann, le nouveau film de la cinéaste allemande Margarethe von Trotta consacré à la poétesse autrichienne avec Vicky Krieps en tête d’affiche, est sorti en salles ce 7 mai, L’Amie (1983) ressort en même temps dans une version restaurée 4K. Redécouverte d’une amitié particulière entre deux femmes incarnées par les actrices allemandes Hanna Schygulla et Angela Winkler.
Figure de proue féminine du nouveau cinéma allemand porté par des cinéastes comme Rainer Werner Fassbinder, Volker Schlöndorff ou Werner Herzog qui amorçait une rupture cinématographique avec le cinéma d’après-guerre, influencé par la Nouvelle vague française, et du mouvement Frauenfilm qui regroupait des réalisatrices allemandes mettant en scène des personnages féminins forts s’émancipant, Margarethe von Trotta est sans aucun doute la cinéaste de l’émancipation féminine. Elle comptait une vingtaine de films depuis 1975 quand elle cessa d’être actrice pour s’autoriser à passer à la réalisation. Quelle joie donc d’avoir cette année une double sortie. D’un côté, son nouveau film Ingeborg Bachmann, portrait de la poétesse autrichienne incarnée par la comédienne Vicky Krieps. De l’autre, grâce à Splendor Films qui en profite pour le ressortir, le très beau et intime L’Amie, sorti initialement en 1983, juste après Les Années de plomb, récompensé du Lion d’or à la Mostra de Venise deux ans auparavant.
Avec ce quatrième film, la cinéaste, célèbre également pour sa manière de raconter l’histoire de l’Allemagne à travers ses figures féminines puissantes comme la militante révolutionnaire Rosa Luxemburg (1986) ou la philosophe Hannah Arendt (2012), se recentre sur les intériorités de deux personnages féminins plus accessibles. La première que l’on découvre en scène d’ouverture dans un hôpital psychiatrique avant que le reste du film ne s’avère être un flashback, Ruth (Angela Winkler), est une jeune femme vulnérable et réservée, mariée à un homme jaloux et dont l’activité principale se trouve la reproduction picturale de grands tableaux en noir et blanc. Olga, incarnée par l’immense Hanna Schygulla (avec qui Margarethe von Trotta partageait l’affiche dans Les Dieux de la peste de Fassbinder) s’affirme par son indépendance et sa confiance en elle. Professeur, elle est séparée de son mari metteur en scène qu’elle continue de conseiller tandis qu’elle vit avec leur fils adolescent et son amant du moment, un pianiste d’origine bulgare.
Quand les deux femmes se rencontrent pour la première fois lors de vacances d’été en Provence, l'attraction entre elles semble immédiate. En disséquant cette sororité puissante et cette empathie réciproque qui va s’installer progressivement entre Olga et Ruth, Margarethe von Trotta trouble le patriarcat et repense la place des femmes dans cette société. Plus les deux amies se rapprochent, plus les hommes qui les entourent deviennent lâches, possessifs, colériques… Or, cette vampirisation du féminin sur le masculin dominant tout n’est pas la seule du métrage. En créant à deux ce rempart malgré elles, Ruth et Olga, dont les personnalités sont diamétralement opposées, s’aspirent aussi jusqu’à projeter une inversion de leurs forces et fragilités. Plus Ruth s’épanouit et reprend des couleurs, plus Olga se met à douter et son équilibre vacille, comme si elles étaient les deux faces d’une même pièce. Sous l’apparente simplicité de ce duo qui renvoie aux nombreuses sœurs de la filmographie de la cinéaste allemande pionnière dans ce milieu d'hommes, L’Amie se démarque par la profondeur psychologique de son écriture ancrée dans la photographie de Michael Ballhaus. À qui l’on doit l’image de chefs-d’œuvre de Fassbinder comme Les Larmes amères de Petra von Kant (avec Hanna Schygulla) ou Le Mariage de Maria Braun mais aussi celle de plusieurs films de Martin Scorsese (Les Affranchis, Le Temps de l’innocence, Les Infiltrés…) et qui apporte son œil singulier sur les cauchemars en noir et blanc de Ruth, symbole de l’oppression. Ne manquez pas l’occasion de (re)découvrir ce film trop longtemps invisibilisé.
DIANE LESTAGE
L’Amie
Réalisée par Margarethe von Trotta
avec Hanna Schygulla, Angela Winkler, Peter Striebeck
France, Allemagne de l'Ouest (1983)
Olga et Ruth n'ont, à première vue, rien en commun. Olga est sûre d'elle, indépendante et appréciée des hommes. Ruth est renfermée et craintive. Dès leur rencontre, une grande amitié se noue entre les deux femmes. La force et la profondeur de cette affection vont perturber leur entourage, en particulier les hommes.
En salles le 7 mai 2025.