INGEBORG BACHMANN – Margarethe von Trotta
© 2023 Alamodefilm
Requiem pour une poétesse
Après ses biopics sur Rosa Luxemburg et Hannah Arendt, la ponte du cinéma allemand, Margarethe von Trotta, met en scène une autre figure féminine d’envergure : la poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann, dont elle raconte les années de vie tourmentées avec l’écrivain Max Frisch. Un film à l’esthétique impeccable mais dont le scénario reste obscur pour ceux qui ne connaissent pas l’œuvre de l’autrice.
En scène d’ouverture, le personnage d’Ingeborg Bachmann (incarnée par la formidable Vicky Krieps) traverse un long couloir noir, suivant une sonnerie de téléphone. Elle décroche. Au bout du fil, un homme rit. Plus elle le questionne, « Quand rentres-tu ? », plus le rire devient tonitruant. Ce n’était qu’un mauvais rêve. Ingeborg se réveille dans un hôpital à la blancheur spectrale. En quelques plans, Margarethe von Trotta affirme son esthétique, qu’elle ne lâchera pas de tout le long-métrage. Chaque image, aux décors presque monochromes, est pensée avec la précision d’une photographie d’art. Introduisant ses scènes avec lenteur grâce à de nombreux silences, elle laisse au spectateur le temps d’admirer les lieux qu’elle dévoile (Égypte, Rome, Zurich) et les parures qu’elle a choisies pour ses acteurs et ses actrices. Dans cette ambiance calme et sophistiquée, pas question de babiller – les mots, peu nombreux, pèsent leur poids.
Bien qu’elle mette en scène la relation de la poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann avec l’écrivain suisse Max Frisch (de 1958 à 1962), Margarethe von Trotta ne recherche pas le sensationnel, qu’il s’agisse de la passion des débuts ou des éclats finaux qui ont conduit à la séparation des deux amants. La réalisatrice reste sur le fil, et distille, par quelques phrases glissées, la misogynie et la jalousie qui ont progressivement rongé le couple. Ingeborg Bachmann est déjà au sommet de sa gloire lorsqu’elle rencontre Max Frisch (campé par Ronald Zehrfeld) et elle lui fait de l’ombre. Malgré les réprimandes de l’homme qui partage sa vie – qui, bien qu’il ne lui demande jamais d’arrêter de travailler, préférerait clairement qu’elle se consacre plus à son rôle de future épouse – Ingeborg semble tout vouloir : l’amour, le succès, l’aventure et une écriture qui marquera le temps. En d’autres termes, la perfection.
© 2023 Alamodefilm
Tout au long du récit se développent des thématiques importantes dans l’œuvre d’Ingeborg : la recherche de la forme stylistique parfaite (une des raisons qui ont fait d’elle une figure de l’association d’écrivains allemands d’après-guerre, le Groupe 47), l’obsession pour la souffrance féminine et pour la violence qu’elle jugeait inhérente au couple. Margarethe von Trotta aborde ces sujets avec subtilité, évitant au scénario de tomber dans l’exposé d’une œuvre littéraire. Mais c’est malheureusement cette grande subtilité qui rend le récit trop obscur (ou trop plat) pour qui n’a jamais lu le travail d’Ingeborg.
Même si des flashforwards, entrecoupant le récit, la montrent après sa rupture alors qu’elle tente de se reconstruire auprès d’un nouvel ami en Égypte, son personnage ne semble pas évoluer. Nous la retrouvons comme nous l’avons quittée – dans un état de tristesse paralytique qui semble la rapprocher d’une mort qui en réalité ne survient qu’une dizaine d’années plus tard (en 1973). En donnant cette forme d’immobilité à Ingeborg, la réalisatrice fige son récit et ne paraît pas suivre les pistes scénaristiques qu’elle avance (la possible relation d’emprise entre Ingeborg et Max, l’évolution du rapport de l’écrivaine à son art). Ainsi, l’œuvre demeure crépusculaire – et le spectateur, s’il ne connaît pas la vie de la poétesse, a l’impression de voir disparaître une figure qu’il n’a malheureusement pas eu le temps de connaître.
ENORA ABRY
Ingeborg Bachmann
Réalisé par Margarethe von Trotta
Avec Vicky Krieps, Ronald Zehrfeld, Tobias Resch
Allemagne, Suisse, Autriche, Luxembourg, 2023
A trente ans, la poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann est au sommet de sa carrière lorsqu'elle rencontre le célèbre dramaturge Max Frisch. Leur amour est passionné mais des frictions professionnelles et personnelles commencent à perturber l'harmonie.
En salles le 7 mai 2025.