Les travailleuses au cinéma : notre top
Tous les mois, la rédaction de Sorociné vous partage ses coups de cœur thématiques. En mai, en honneur à la journée de lutte pour les droits des travailleureurs.es, Louise Bertin, Margaux Baralon, Enora Abry, Léon Cattan, Lisa Durand, Alicia Arpaïa et Manon Franken vous dévoilent leurs sélection de travailleuses au cinéma.
A plein temps, Eric Gravel, 2022
Julie est une femme pressée : entre sa vie à la campagne avec ses deux enfants et son travail dans un palace parisien, cette mère célibataire n’a pas une minute à perdre. Alors qu’elle doit passer un entretien d’embauche important, une grève des transports éclate et c’est toute la mécanique du quotidien qui se grippe. Ce qui s'annonçait comme un film social devient alors un thriller haletant, servie par l’impressionnante performance de Laure Calamy dans le rôle principal. Au-delà de ce mélange des genres réussi, Éric Gravel signe avant tout un film physique, où chaque geste s’inscrit dans une chorégraphie millimétrée, et dont la tension est accentuée par la musique hypnotisante d'Irène Drésel. À plein temps est un film sur la ténacité et la solitude d’une travailleuse, et sur ce que le travail, qu’il soit domestique ou salarié, fait au corps des femmes. Julie est une femme pressée : elle court sans cesse, pour attraper un train, arriver à l’heure pour pointer son badge ou rejoindre ses enfants. Pendant ce temps, nous retenons notre souffle. L.B.
La Passagère, Héloïse Pelloquet, 2022
Récit vibrant d’un adultère décomplexé, le premier film d’Héloïse Pelloquet raconte la rencontre de Chiara, une Belge exilée sur la côte Atlantique par amour et devenue pêcheuse dans le sillage de son compagnon, Antoine, avec un jeune apprenti, Maxence. Tout y est simple mais réfléchi : la description de cette relation, filmée sans volonté forcée de transgression, la façon joyeuse de montrer la sexualité, le portrait d’une femme quadragénaire lumineuse (Cécile de France a eu de nombreux beaux rôles mais celui-ci fait partie des meilleurs) et, aussi, cette plongée dans le monde du travail de la mer. Héloïse Pelloquet a l’art et la manière de saisir les gestes précis de la pêche au casier (elle s’est entourée de nombreux acteurs non professionnels qui exercent ce métier) et les moindres détails de son environnement battu par les vagues et le sel : celui d’un petit village où tout le monde se connaît et où l’on se charge bien vite de rappeler aux gens venus d’ailleurs qu’ils resteront des étrangers. Sans qu’il soit le sujet principal du film, le travail en est ici une composante essentielle, en cela qu’il permet aussi d’inverser les traditionnels rapports de force : Chiara la prolétaire est maître à bord de son bateau, tandis que Maxence son jeune amant, venu de la classe bourgeoise, obéit à ses ordres. M.B.
Populaire, Régis Roinsard, 2012
Avec une esthétique rétro à souhait, Régis Roinsard nous embarque en 1958 pour suivre le destin d’une héroïne au prénom de la même couleur que sa robe : Rose (Déborah François), une jeune femme qui rêve de quitter sa province pour devenir secrétaire. Embauchée par un macho un poil ridicule, Louis Échard (Romain Duris), elle révèle ses talents de dactylo et enchaîne les concours aux côtés de son nouveau patron. Reprenant autant de clichés qu’il en détourne, Populaire rappelle tout de même que l’emploi de secrétaire, aussi stéréotypé soit-il, représentait une voie d’émancipation importante pour les femmes de la société d’après-guerre, au même titre que le statut de maîtresse d’école et d’infirmière (vous n’avez qu’à demander à votre grand-mère). Un visionnage qu’il est intéressant de coupler avec le formidable documentaire Et l’homme créa la secrétaire de Michèle Dominici (disponible sur Arte). EA.
Deux jours, une nuit, Jean-Pierre et Luc Dardenne, 2014
Expert (polarisant) du drame social, le duo Dardenne frappait encore en 2014 avec l’âpre Deux jours, une nuit. Son héroïne, Sandra, est une mère, l’épouse d’un cuisinier-serveur, et surtout la salariée d’une entreprise de panneaux solaires. Elle sort la tête de l’eau après un long arrêt-maladie pour dépression, mais déchante rapidement : son patron a proposé aux autres employés de la boîte de voter entre sa réintégration et un licenciement qui leur permettrait de toucher une prime de 1 000 euros. S’en suit une longue série de porte-à-porte sur 48h où Sandra (une Marion Cotillard aux traits défaits) tente de convaincre ses collègues de la choisir, elle, au détriment de la précieuse somme d’argent. L’occasion, pour Jean-Pierre et Luc Dardenne, de dénoncer les diverses manières que le patronat mobilise pour briser la solidarité entre travailleurs, la concurrence impitoyable, mais aussi de faire passer un message essentiel : qu’importe le triomphe ou l’échec, il faut toujours se battre. L.C.
We Want Sex Equality, Nigel Cole, 2011
Basé sur des faits réels, We Want Sex Equality retrace le combat des 187 machinistes de couture féminines employées par l'usine Ford de Dagenham, à l'été 1968, pour obtenir un salaire égal à celui de leurs collègues masculins. Emmené par la tenace Rita O'Grady (vivifiante Sally Hawkins), cette bande transgénérationnelle de femmes va, en trois semaines, retourner les préjugés machistes de leur milieu ouvrier, secouer leurs représentants syndicaux apathiques (eux aussi des hommes), faire valoir leur droit de grève, et obtenir gain de cause dans une Angleterre conservatrice où un vent de révolte, de modernité, de féminisme et de Swinging London commence à souffler dans les rues. Le succès de la grève mènera à l’adoption de la Loi sur l’égalité salariale en 1970. We Want Sex Equality est une attachante comédie sociale comme les britanniques en ont le secret, où les assignations de genre rencontrent la lutte des classes. Le film séduit par son portrait enjoué d'une bande femmes humbles et résolues, servie par un casting de comédiennes (Rosamund Pike, Jaime Winston, Miranda Richardson, Andrea Riseborough,...) cinq étoiles. L.D.
Coup pour coup, Marin Karmitz, 1971
Que se passe-t-il quand les femmes s’emparent de la lutte syndicale ? En 1971, Marin Karmitz (bientôt fondateur de la société MK2) filme le combat des ouvrières dans une usine textile normande contre leurs conditions de travail, adaptation fictionnelle d’un photo-reportage qu’il fit en 1968. Face à la cadence infernale de l’usine, puis celle de la vie familiale, la grève devient pour elles un espoir de libération face à un quotidien aliénant. Une œuvre puissante sur la force du collectif et la lutte au féminin, s’inscrivant dans le courant du cinéma-vérité, où les ouvrières rejouent leur propre rôle. Invisibilisée à sa sortie sous l’influence de quelques patrons effrayés par l’idée que ce film militant n’éveille les consciences, Coup pour Coup reste toujours d’une actualité confondante. A.A.
La Forme de l’eau, Guillermo del Toro, 2017
Le modeste travail d’une femme de ménage prend des allures épiques lorsqu’elle rencontre, dans le cadre de ses fonctions, une créature humanoïde détenu dans un laboratoire. Sorti l’année de l’affaire Weinstein, La Forme de l’eau prend comme héroïne une travailleuse de la classe populaire muette et comme obstacle à sa romance, un patron obsédé par la pensée positive. Ici, ce ne sont pas les supérieurs hiérarchiques aveuglés par l’image de leur propre réussite qui ont droit à l’aventure. Ce sont les petites mains qui parviennent, tant personne n’ose imaginer qu’elles en sont capables, à déjouer les plans froids par amour, amitié ou empathie. Même s’il se déroule pendant la Guerre froide, le film témoigne de combats sociaux encore d’actualité et apporte, à ses schémas classiques ultra-maîtrisés, un souffle moderne en détournant les codes. M.F.