THUNDERBOLTS*– Jake Schreier

Copyright 2024 MARVEL.

Spleen héroïque

Trente-sixième film du Marvel Cinematic Universe (MCU), dernier opus de la phase 5 (2023-2025), Thunderbolts* suit la création d’un groupe d’anti-héros aux prises avec la noirceur du réel mais surtout leurs démons intérieurs. Emmené par la talentueuse Florence Pugh, ce Marvel dépressif, à taille humaine, fait mouche.

Yelena Belova (Florence Pugh) croise la route du MCU pour la première fois en 2021, à l’occasion du film Black Widow, consacré aux aventures solos de la Veuve Noire, Natasha Romanoff (Scarlett Johansson). Les deux sœurs s’y affrontent tout d’abord et feront ensuite équipe pour déjouer les plans de La Chambre Rouge, l’organisation qui les a élevées pour en faire de parfaites et obéissantes machines à tuer, et les as maintenues dans un état de soumission chimique avec un verrou à phéromones. Le film de Cate Shortland convoquait en toile de fond le trafic illégal d’enfants – ici des jeunes filles – mais aussi les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes, et l’emprise des engrenages de prédation, dans un système patriarcal puissant et brutal. L’adversaire de Natasha et Yelena, le cruel Dreykov, était un ersatz évident de l’ancien producteur hollywoodien Harvey Weinstein – accusé et condamné pour viols et violences sexuelles. Black Widow s’inscrivait dans l’air du temps et convoquait l’aura des luttes féministes enclenchées à travers le monde à la suite de l’explosion du mouvement #MeToo, ce qui, pour une superproduction de cette ampleur, n’était pas chose anodine.

On soulignera tout de même qu’il aura fallu à Marvel Studios plus de onze ans pour offrir à sa première héroïne de cinéma un film solo. La Veuve Noire apparaissait sur nos écrans lors d’Iron Man 2 (2010), devenant par la suite le seul membre féminin des Avengers à partir de 2012 et se faisait griller la priorité de la leading lady par Carole Danvers dans le trop girlboss Captain Marvel (2019). Pour Yelena, tout va nettement plus vite puisque, après cette introduction, elle traverse en invitée vengeresse la mini-série Hawkeye (2021) avant d’hériter du rôle principal de Thunderbolts*.

On la retrouve donc des années plus tard, où sous contrat avec la machiavélique Valentina de Fontaine (Julia Louis-Dreyfus), elle exécute mission périlleuse après mission périlleuse, avec une certaine lassitude. Ce n’est pas tant la routine qui ronge Yelena mais bien le stress post-traumatique d’une existence régie par la violence, les désillusions et le manque de liens affectifs. Celle qui ne parvient pas à se relever de la mort de sa sœur continue de se réfugier mécaniquement dans la violence jusqu’à l’épuisement. Tout bascule lorsque cet électron libre décide de raccrocher ses bottes d’anti-héroïne pour devenir une héroïne au grand jour, du côté des gentil·les, et entamer une sorte de rédemption, suivant les traces de sa sœur. Devenues un atout gênant pour Valentina, elle et une bande d’anti-héro·ines fracassé·es sont envoyées pour s’entretuer et effacer les projets secrets illégaux de cette dernière. Ainsi naîtra, bon gré mal gré, l’équipe Thunderbolts*, puisque nos mercenaires esseulés s’unissent dans un premier temps pour éviter une mort imminente.

Copyright 2024 MARVEL.

Extrêmement fort et incroyablement près

Iels sont issu·es des quatre coins du MCU et ont la particularité commune d’être des outsiders désabusés mais aussi une bande de super soldats maintes fois utilisés par des organisations gouvernementales peu scrupuleuses ou des entreprises privées tapies dans l’ombre. Une dépression généralisée face à l’état du monde, les politiques gouvernementales cyniques et leurs passés traumatiques respectifs,voilà ce qui unit Yelena Belova, James « Bucky » Barnes (Sebastian Stan), Ava Starr (Hannah John-Kamen), John Walker (Wyatt Russell), Alexei Shostakov (David Harbour) et le nouveau venu Robert « Bob » Reynolds (Lewis Pullman). C’est un des maux de notre siècle qu'ont choisi d’explorer les scénaristes Joanna Calo et Erik Pearson, en assemblant cette équipe improbable. Si Marvel avait déjà entrouvert le couvercle des problématiques de dépression, de maladie mentale et de deuil, en réponse aux événements tragiques d’Avengers : Infinity War puis Endgame et la disparition de la moitié de la population mondiale – façon The Leftovers – l’événement n’était que temporaire. Thunderbolts* essuie pleinement les plâtres psychiques de tous les protagonistes brisés qui le précèdent.La mélancolie diffuse de Yelena trouve une caisse de résonance avec celle de ses camarades d’infortune et pour une fois, l’habituel second degré marvelien ne peut contrer ce mal-être avec une pirouette ou une blague pop-culturelle. Ici, on prend le temps d’identifier sa souffrance, de l’apprivoiser, de faire son deuil et de cohabiter avec elle.

Jake Schreier livre un film d’action de bonne facture, au développement posé et au rythme mesuré permettant à nos protagonistes de trouver une forme d’équilibre commun et d’envisager de faire famille. Il parvient même à composer un dernier acte sans la bataille de bouillie numérique grisâtre usuelle, véritable gageure face au cahier des charges habituel. Il se permet quelques trouvailles formelles plutôt réussies, à l’image d’un labyrinthe traumatique infini. Sous couvert d’assembler sa nouvelle fournée de vengeurs et vengeresses pour se raccrocher au futur mastodonte Avengers : Doomsday prévu pour 2026, Thunderbolts* est un surprenant et rafraîchissant pas de côté, aussi temporaire soit-il, face à l’horlogerie de pointe qu’est le MCU. En visant le petit, l’intériorité, l’humanité, cette proposition vise juste et fort.

LISA DURAND 

Thunderbolts*

Réalisé par Jake Schreier

Ecrit par Joanna Calo, Eric Pearson

Avec Florence Pugh, Sebastian Stan, David Harbour

USA, 2025

Marvel Studios rassemble une équipe de anti-héros peu conventionnelle : Yelena Belova, Bucky Barnes, Red Guardian, Le Fantôme, Taskmaster et John Walker. Tombés dans un piège redoutable tendu par Valentina Allegra de Fontaine, ces laissés pour compte complètement désabusés doivent participer à une mission à haut risque qui les forcera à se confronter aux recoins les plus sombres de leur passé. Ce groupe dysfonctionnel se déchirera-t-il ou trouvera-t-il sa rédemption en s’unissant avant qu’il ne soit trop tard ?

En salles le 30 avril 2025.

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