LES FILLES DÉSIR – Prïncia Car
© Zinc.
Mauvaises filles
Film de bande et d’émancipation féminine, Les Filles désir met en scène les tourments affectifs d’un groupe d’ami·es à Marseille. Un premier long-métrage enthousiasmant sur le papier, mais qui se révèle plus frustrant que pleinement réussi.
Sous le soleil marseillais, l’été s’annonçait tranquille pour Omar (Housam Mohamed) et sa bande, entre gestion du centre aéré et balades sur la plage. C’était sans compter sur Carmen (Lou Anna Hamon), ancienne meilleure amie du jeune homme et ex-prostituée, qui revient dans le quartier après plusieurs années d’absence. La dynamique du groupe, tout comme celle du couple que forment Omar et Yasmine (Leïa Haïchour), est alors bouleversée, entre désir, jalousie et ressentiment. Écrit en collaboration avec les interprètes, pour la plupart non professionnel·les, Les Filles désir tisse un enchevêtrement de regards : chacun·e se jauge et se juge, et la caméra filme au plus près les corps, comme si elle cherchait à capter l’essence d’une jeunesse, à s’approcher le plus possible de sa réalité. Si ces échanges laissent espérer une richesse de points de vue, le film se perd malheureusement dans une écriture qui multiplie les pistes sans jamais les explorer pleinement.
Quelques scènes se distinguent pourtant, notamment lorsqu’elles se recentrent sur les personnages féminins. Au début du film, alors qu’elle vient de revenir à Marseille, Carmen drague ouvertement un des garçons du groupe. Le franc-parler séducteur de la jeune femme à la fois émoustille et déstabilise son interlocuteur, et la caméra, en se rapprochant des visages, nous place au cœur de leur interaction, nous aussi désarçonné·es par la liberté de Carmen. Entre le féminisme post-moderne de Rebecca Zlotowski (Une fille facile) et le male gaze triomphant d’Abdellatif Kechiche (Mektoub, My Love), filmer une jeunesse en proie à ses désirs permet d’en explorer les élans, mais aussi les contradictions. Rejouant l’opposition classique de la maman et de la putain, les garçons de la bande performent ici une masculinité surpuissante, qui ne tolère les femmes que lorsqu’elles sont « épousables », selon des critères bien précis. À ce jeu, Carmen n’a aucune chance, et Yasmine elle-même se retrouve enfermée dans un rôle écrit pour elle.
De l’opéra de Bizet au XIXe siècle au cinéma contemporain, les Carmen sont des mauvaises filles que la violence masculine condamne. Mais en 2025, tout semble encore possible, y compris la sororité et l’émancipation. Le scénario a ce mérite : il ne cède pas à la tentation, si fréquente, de mettre les femmes en concurrence. Il ne va toutefois pas au bout de son projet, et reste trop longtemps englué dans l’omniprésence masculine. Prïncia Car semble alors tiraillée, comme si elle n’osait pas pleinement embrasser le point de vue de ses héroïnes. Lorsque la fin arrive, la frustration domine, et le rebondissement final, pourtant souhaitable, paraît abrupt. La cinéaste ne manque pas d’idées mais tombe dans le piège qu’elle cherchait à éviter : si elle s’est appuyée sur une écriture collaborative pour permettre des regards et voix multiples, elle retombe malgré elle dans un schéma qui conditionne l’existence des femmes à l’omniprésence de ceux qui les dominent.
LOUISE BERTIN
Les Filles désir
Réalisé par Prïncia Car
France, 2025
Marseille en plein été. À 20 ans, Omar et sa bande, moniteurs de centre aéré et respectés du quartier, classent les filles en deux catégories : celles qu'on baise et celles qu'on épouse. Le retour de Carmen, amie d’enfance ex-prostituée, bouleverse et questionne leur équilibre, le rôle de chacun dans le groupe, leur rapport au sexe et à l’amour.
En salles le 16 juillet 2025.