SWIPE - Rachel Lee Goldenberg

© 2025 20th Century Studios. All Rights Reserved.

Let’s get out of the boys’ club!

En racontant la carrière de Whitney Wolfe, cofondatrice de Tinder et créatrice de Bumble, SWIPE s’attaque à la misogynie dans le milieu de la tech. Pas forcément subtil mais indéniablement fort et rythmé, ce récit marque par l’évolution de son personnage principal, de la « girl du boys’ club » à une femme trouvant sa force dans la sororité.

Commençons par dire que ce qui nous est raconté dans SWIPE est en partie fictionnel. Et pour cause, la véritable Whitney Wolfe a signé un accord de confidentialité en 2014 après avoir quitté la société Tinder (qu’elle a cofondée) et porté plainte contre cette dernière pour harcèlement sexuel. Mais c’est en s’inspirant de ces faits et de la suite de sa carrière que Rachel Lee Goldenberg (Valley Girl, Unpregnant) a construit son histoire. Bien loin de nous livrer une simple success story à l’américaine avec une Whitney Wolfe qui gagnerait envers et contre tous jusqu’à devenir la plus jeune entrepreneure milliardaire au monde grâce à sa société Bumble, la réalisatrice préfère décortiquer le milieu qui entoure son personnage principal : celui des start-ups de la tech, majoritairement masculin et comptant bien le rester.

Elle nous le fait savoir dès sa scène d’intro où l’on peut voir la jeune Whitney (Lily James), son diplôme fraîchement en poche, tenter d’approcher des investisseurs lors d’une soirée, afin de développer une application qui pourrait aider des bénévoles à entrer en contact avec des orphelinats en Asie. Blonde, jolie et pleine de bons sentiments, ses sourires se transforment vite en grimaces quand chaque homme qu’elle croise lui demande son numéro… personnel. Heureusement, la réalisatrice Rachel Lee Goldenberg ne fait pas de Whitney une oie blanche qui découvre avec stupéfaction les codes de l’environnement qu’elle veut intégrer. Au contraire, Whitney les connaît et tente malgré tout de se faire une place dans ce « boys’ club » (pour reprendre l’expression de l’essayiste québécoise Martine Delvaux dans son ouvrage Le Boys club [2019] qu’elle définit comme « des hommes, le plus souvent blancs, le plus souvent hétérosexuels, le plus souvent assez riches, qui fonctionnent en circuit fermé »).

© 2025 20th Century Studios. All Rights Reserved.

En croisant la route de Sean Rad et de Justin Mateen (avec qui elle entame une relation amoureuse), Whitney fonde l’application de rencontres bien connue, Tinder. Elle devient alors la « girl du boys’ club » : celle qu’il faut mettre en avant pendant les petites occasions pour paraître inclusif (mais pas pendant les remises de prix importantes car ça ne fait pas sérieux), celle qu’on accepte tant qu’elle ne s’oppose pas aux règles du milieu masculin et surtout celle qui doit rester l’unique. Et c’est ici que SWIPE trouve la force de son propos : en décrivant les mécanismes de cet entre-soi masculin, le film insiste sur l’impossibilité des femmes de faire corps entre elles pour y répondre. En d’autres termes, si Whitney veut garder sa place, il faut qu’elle intègre leurs codes et doit alors silencier toutes les revendications de ses collègues féminines (notamment lorsque l’une d’elles lui demande de faire quelque chose contre la prolifération des dick pics sur Tinder). Ainsi, SWIPE revisite l’image de la self made girl : elle ne réussit pas simplement parce qu’elle est meilleure que les autres filles, elle réussit car elle a pu les écraser et ainsi s’infiltrer dans un environnement qui, de toutes les façons, ne voulait pas vraiment d’elle.

Sauf que bien évidemment, tout s’effondre quand Whitney dénonce le harcèlement dont elle est victime dans l’entreprise (notamment de la part de son ex-petit ami Justin Mateen). Confrontée à la justice qui ne tend pas de son côté et à la totalité du milieu de la tech qui la traite de « folle », elle doit alors trouver un moyen de se réinventer, en créant une boîte majoritairement féminine : Bumble. Sans vouloir trop en dévoiler sur la suite des événements, on peut ajouter que SWIPE a l’intelligence de montrer la quasi-impossibilité de redistribuer les cartes dans un milieu fondé sur la domination masculine, et surtout, la difficulté de préserver ses idéaux moraux dans un monde qui nous demande de les abandonner pour réussir.

ENORA ABRY

>>> Pour lire l’interview de la réalisatrice, cliquez ici.

SWIPE

Réalisé par Rachel Goldenberg

Avec Lily James, Myha'la Herrold, Jackson White

Récemment diplômée de l'université, Whitney Wolfe fait preuve d'une détermination et d'une ingéniosité sans égales pour percer dans le secteur de la tech largement dominé par les hommes. Son instinct et son talent seront à l’origine d’une application de rencontres innovante et mondialement reconnue (deux, en fait), lui ouvrant ainsi la voie vers le titre de « plus jeune femme milliardaire autodidacte ».

Disponible sur Disney+.

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RENCONTRE AVEC RACHEL LEE GOLDENBERG – « Je sais ce que c’est que de travailler dans un environnement quasi exclusivement masculin »

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