LEFT-HANDED GIRL - Shih-Ching Tsou
© Le pacte
La loi du marché
Le premier film solo de la réalisatrice taïwanaise, partenaire de longue date de Sean Baker, est une immersion aussi joyeuse qu’émouvante dans la bulle d’une famille modeste monoparentale de Taipei.
Elle court, elle court, la petite I-Jing. Souvent, la caméra la suivra, elle, haute comme trois pommes, dans les méandres du marché de nuit de Taipei. Il faut dire que sa mère vient d’y louer un emplacement pour installer une cantine et que la voilà reine en son royaume : tous les commerçants l’adorent et elle se retrouve pile à hauteur de babioles colorées. Sa sœur, I-Ann, plus âgée, promène ses shorts et ses crop-tops avec bien moins d’enthousiasme dans les mêmes allées. Elle n’a pas fait d’études et doit déjà travailler pour subvenir à leur existence, plombée, on le devine très vite, par un père qui a disparu en ne laissant derrière lui que des dettes à éponger. Les relations avec sa mère, Shu-Fen, sont tendues. Par la galère, c’est latent, mais aussi par les secrets. Car derrière l’apparente joie foutraque de l’existence de cette famille monoparentale se cachent bien des violences.
Left-handed Girl est donc l’histoire d’un dévoilement. Au fur et à mesure que les personnages avancent, des pans de leur existence sont révélés, des culpabilités anciennes se font jour. Et, avec elles, la dynamique profondément sexiste de la société taïwanaise. Abandonnée par son mari, Shu-Fen n’a aucun soutien de sa propre mère ni de ses sœurs, toutes occupées à vénérer le frère, seul garçon de la fratrie. Intelligente mais malchanceuse, I-Ann est condamnée à voir ses anciens camarades de classe vanter les mérites d’une université qui ne lui a pas ouvert ses portes.
Tout l’intérêt du film de la réalisatrice Shih-Ching Tsou naît précisément de la rencontre entre une âpreté dans le propos et une mise en scène bondissante. La Taïwanaise, qui avait déjà coréalisé Take Out avec Sean Baker en 2004, tire le meilleur parti, pour son premier vol solo, des lumières bleutées de son île natale et des sons pétaradants des rues de Taipei. Et si on pourra peut-être lui reprocher une exposition un peu longue, il se dégage de son image une vitalité certaine, miroir esthétique de celle de la jeune I-Jing. Mais celle qui est, depuis 2004, devenue la productrice du réalisateur d’Anora (Sean Baker est d’ailleurs coscénariste et monteur de Left-handed Girl) maîtrise aussi le mélange des genres. De la pure comédie (une scène impliquant un suricate, notamment), Shih-Ching Tsou tire son film vers la tragédie lyrique en l’espace d’une séquence, étirée, gênante, violente, passage obligé avant la réconciliation.
MARGAUX BARALON
Left-handed Girl
Réalisé par Shih-Ching Tsou
Avec Janel Tsai, Nina Ye, Shi-Yuan Ma
Une mère célibataire et ses deux filles arrivent à Taipei pour ouvrir une petite cantine au cœur d'un marché nocturne de la capitale taiwanaise. Chacune d'entre elles doit trouver un moyen de s'adapter à cette nouvelle vie et réussir à maintenir l'unité familiale.
En salles le 17 septembre 2025