RENCONTRE AVEC SARA FANTOVA BARRENA – « Si nous voulons parler de mort et de douleur, nous devons aussi parler de vie et de désir »
© La Fidèle Studio
Dans Jone Sometimes, on suit la jeune Jone, dont la vie est bouleversée pendant la Semana Grande de Bilbao. Entre sa première histoire d’amour et la maladie grandissante de son père, l’adolescente se voit propulsée dans l’âge adulte. La réalisatrice Sara Fantova Barrena nous raconte la création de ce premier long-métrage aussi puissant que solaire.
Quelle a été la première image qui vous est venue à l’esprit lorsque vous avez commencé à écrire le scénario ?
J’ai du mal à me souvenir de la toute première image, j’en ai plusieurs en tête. Je me souviens des fêtes de Bilbao et je me souviens des journaux de mon père. Pendant les fêtes de fin d'année, ce devait être en 2018 ou en 2019, mon père m’a laissée lire ses journaux de jeunesse. La page correspondant à ma date de naissance est une image dont je me souviens très bien ; d’ailleurs, elle a fini par apparaître dans le film. Ce sont certainement ces éléments – les fêtes de la Semana Grande – qui ont donné naissance à Jone Sometimes.
Pourquoi avoir décidé de concentrer l’intrigue sur une semaine, au lieu de couvrir toutes les vacances d’été, par exemple ?
Le cadre des fêtes de la Semaine Grande de Bilbao, qui durent neuf jours, nous intéressait beaucoup. Le début et la fin des fêtes nous aidaient à structurer le film et le voyage de Jone. Nous voulions que le public l’accompagne presque en temps réel, et c’est pour cela que nous avons décidé de limiter l’intrigue à ces quelques jours.
C’est aussi une grande semaine de festivités à Bilbao… Pourquoi avoir choisi d’y situer votre histoire ? Était-ce un moyen de rythmer le récit ?
J’ai grandi avec la Semana Grande de Bilbao. Depuis longtemps, j’avais envie que ces festivités fassent partie d’un film. Il y a quelque chose dans l’énergie de ces fêtes, dans la manière dont la ville se transforme, que j’avais envie de montrer. Ensuite, en réfléchissant au film, nous avons vu que tout cela faisait sens. Nous voulions parler de cette peur de la mort, de la disparition des piliers fondamentaux de notre vie, comme nos parents. Il nous a semblé évident que si nous voulions parler de mort, de maladie, de douleur, nous devions aussi parler de vie, de désir, de lumière. Les fêtes de Bilbao sont devenues le contraste parfait : elles nous aidaient à sortir Jone d’un monde pour la faire entrer dans un autre.
Pendant ces fêtes, Jone rencontre une femme. Comment avez-vous imaginé cette figure du premier amour ? C’est une femme un peu plus âgée, un peu plus libre aussi…
Dès le départ, nous savions que nous voulions que ce soit quelque chose d’éphémère, quelque chose qui arrive pendant l’été et qui ensuite disparaît. Nous voulions qu’à ce moment du film, Olga prenne Jone par la main, mais qu’ensuite Jone doive continuer sans cet amour, afin qu’elle apprenne aussi à laisser partir quelque chose – en l’occurrence, sa relation avec Olga. Nous avons donc compris qu’il fallait deux personnages capables de se rencontrer intensément, mais qu’il soit tout aussi évident qu’ils se trouvent à des moments très différents de leur vie. La différence d’âge servait ce propos. Par ailleurs, Ainhoa Artetxe, l’actrice qui interprète Olga, est une amie d’enfance très proche. En écrivant, je l’imaginais constamment. Cela a aussi influencé l’âge du personnage.
Pourquoi faire coïncider la naissance d’un premier amour avec l’évolution de la maladie de Parkinson du père ?
Parce qu’au fond, c’est ainsi que va la vie. Jone traverse un moment de doute, elle ne sait pas très bien qui elle est, ni où se situer. La présenter dans ce double mouvement – désir et peur – nous aidait beaucoup à exprimer son état et son conflit intérieur. Mais surtout, cela nous intéressait parce que ce sont deux émotions qui vont souvent ensemble, et que nous voulions particulièrement mettre en tension : la peur et l’amour.
Puisque son père est malade, Jone se retrouve avec de plus en plus de responsabilités. Elle doit s’occuper des repas, de sa petite sœur… Était-il important pour vous de montrer ce transfert de responsabilités du père vers Jone ? Pourquoi ?
Dès le début, nous voulions raconter ce changement de rôle : passer de celle qui est prise en charge à celle qui prend soin. Il arrive un moment dans la vie où nos parents commencent à vieillir… Pour Jone, cela arrive peut-être un peu tôt, mais c’est quelque chose que beaucoup d’entre nous vivront. Pour Núria [Dunjó López, la coscénariste, ndlr] et moi, c’était un sujet essentiel. Nous voulions en parler avec douceur et attention, sans tomber dans le jugement ou la culpabilité.
Comme le film se déroule pendant les vacances d’été, les images sont très lumineuses. Comment avez-vous pensé l’esthétique en lien avec le message du film ?
Pour moi, le pilier fondamental du film, ce sont les actrices. C’est pourquoi tout le dispositif technique a été pensé en leur faveur. Pour la majorité d’entre elles, c’était leur première expérience de jeu, il fallait donc créer un espace très libre, sans trop de contraintes, où elles puissent essayer, jouer, expérimenter. C’est pour cela qu’Andreu Ortoll, le directeur de la photographie, a mis sa caméra au service des actrices. Il a fait un travail magnifique en utilisant les éléments réels que nous avions pour en tirer les images qui figurent aujourd’hui dans le film. L’idée était de jouer avec ce qui existait déjà dans les lieux réels, et de construire le film à partir de là, tout en donnant la priorité aux actrices. Mais une chose était sûre : nous voulions que ce soit un film très lumineux.
Aviez-vous des influences ou des références filmiques pour construire votre film ?
Oui, pendant l’écriture, plusieurs films ont été très présents : 35 Rhums de Claire Denis, La Chambre du fils de Nanni Moretti, Week-end d’Andrew Haigh et Boyhood de Richard Linklater.
Propos recueillis par Enora Abry
Jone Sometimes
Réalisé par Sara Fantova
Avec Olaia Aguayo, Josean Bengoetxea, Ainhoa Artetxe
Bilbao, août. Jone, 20 ans, vit son premier amour alors que la maladie de Parkinson de son père s’aggrave, deux événements qui coïncident en pleine Semana Grande de Bilbao. Ces expériences marquent un été décisif, au cours duquel Jone prend conscience de son passage de l’adolescence à l’âge adulte.
En salles le 17 décembre.