CHRONIQUE DU MATRIMOINE #6 : La piscine de Binka Jeliazhova

© Malavida/filmautor/Bulgarian NFC

Attention, rareté. Entre Věra Chytilová et Federico Fellini, le film La Piscine (1977), de la réalisatrice bulgare Binka Jeliazkova, étonne par son originalité et montre une nouvelle facette de la Nouvelle Vvague européenne, par-delà les frontières habituelles.

On ne savait pas grand-chose de la cinéaste avant que Malavida Films initie une rétrospective en 2023 avec deux films, Nous étions jeunes (1961) et Le Ballon attaché (1967). Ayant fait ses armes en pleine Nouvelle Vague, la cinéaste appartient à une frange plus avant-gardiste et politique. Son premier film, La vie s’écoule silencieusement, tourné en 1957, a d’ailleurs été censuré pendant plus de trente ans. En cause, une représentation sans concession du destin après-guerre d’une bande de « partisans » bulgares qui se retrouvent séparés par l’idéologie communiste. La guerre est terminée mais l’oppression vient désormais de l’Est. Jeliazkova fut en effet l’une des premières cinéastes, hommes et femmes confondus, à critiquer le régime. La majorité de ses films traitent de la reconstruction de la Bulgarie au sortir de la Seconde Guerre mondiale dans une Europe qui a perdu ses repères, et des conséquences sur les groupes et les individus. À cette époque, une femme cinéaste qui réalise des films de guerre, ce n’est évidemment pas banal. C’est un combat qu’elle croise avec celui de la réaffirmation de la place des femmes dans les conflits internationaux et dans la société bulgare. Sans se limiter aux engagements qu’il porte, son cinéma balance entre rêve et réalité. 

En 1977 sort La Piscine, un film qui raconte la rencontre entre Bela, jeune diplômée et fille d’une journaliste de la télé d’État, et Apostol, un architecte rêveur de 40 ans. Le film s’empare du sujet épineux de l’écart d’âge dans une relation amoureuse mais adopte le point de vue unique de la jeune femme. C’est elle qui est à l’initiative de son rapprochement avec Apostol, qu’elle veut absolument connaître malgré les distances qu’il met entre eux. La cinéaste n’oublie pourtant pas de dénoncer la manière dont les femmes, et particulièrement les jeunes femmes, sont traitées par certains hommes qui profitent de leur manque d’expérience pour abuser de leur consentement. Face à ces tentatives perverses, Bela réagit toujours avec fermeté et ne se laisse pas intimider. Elle ne cherche pas non plus à plaire et cultive une nonchalance naturelle et un émerveillement enfantin. 

Au-delà de cette histoire d’amour, La Piscine demeure un film politique où la piscine municipale, véritable mélange des univers et des classes, sert de miroir à l’idéal de société proposé par le monde communiste. Pourtant, l’individualisme prend de l’ampleur et les personnages cherchent à affirmer leurs différences. Le film est entrecoupé de séquences de montage audacieuses, où on passe de l’hommage au « cinéma-vérité » à des expérimentations visuelles qui se rapprochent de l’art contemporain. Si on enlève quelques longueurs et maladresses dans le propos,La Piscine est une œuvre libre et réjouissante qui donnera certainement envie de découvrir davantage Binka Jeliazkova.

FLORINE MARMU

La Piscine

Réalisée par Binka Jeliazkova

avec Kosta Tsonev, Yanina Kasheva, Kliment Denchev

Au lendemain de la remise manquée de son diplôme universitaire – qui l'a profondément affectée –, Bela, fille d’une journaliste star de la télé d’État, rencontre Apostol, architecte quadragénaire et ancien partisan. Malgré l'écart d'âge, elle est intriguée par cet homme cultivé, mystérieux, ironique, parfois déconcertant, mais respecté par tous. Elle fait aussi la connaissance de son meilleur ami Boyan, ingénieur du son et trublion excentrique. Leur étrange amitié étonne, mais Bela s'entend bien avec les deux hommes et passe de plus en plus de temps avec eux…

En salles le 10 décembre 2025.

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