RENCONTRE AVEC ROMANE BOHRINGER - « J’ai eu l’envie et le besoin de ressusciter l’image de ma mère »
© Escazal Films
Avec Dites-lui que je l’aime, la réalisatrice de L’Amour flou creuse le sillon de l’autofiction qu’elle connaît bien et parle de sa mère, qui l’a abandonnée alors qu’elle n’avait que neuf mois. Retour avec la cinéaste sur une entreprise délicate et profondément émouvante.
Dans son livre Dites-lui que je l’aime, Clémentine Autain, députée de gauche, parlait de sa relation toxique avec sa mère, l’actrice Dominique Laffin, disparue prématurément. En adaptant cette histoire au cinéma, vous choisissez d’y intégrer aussi la vôtre et celle de votre propre mère, qui vous a abandonnée lorsque vous aviez neuf mois. Comment construire un film autour d’un vide béant ?
Le livre de Clémentine m’a servi de guide parce qu’elle avait rempli ce creux. Elle a cherché, avancé, trouvé des réponses et rempli de mots cette absence. Si je n’avais pas lu le livre, je n’aurais pas su comment la raconter, comment ordonner mes propres creux, mes propres pleins, mes propres absences. C’est quelque part la matérialité des mots qui m’a permis de structurer ce vide.
À quel moment avez-vous su que vous ne vous contenteriez pas d’adapter l’histoire de quelqu’un d’autre ?
Lorsque j’ai lu le livre, j’ai éprouvé une immense gémellité. À la scène près, j’avais l’impression d’avoir vécu la même chose que Clémentine : les Noëls, l’absence, le dégoût, l’impression de négligence… Je venais de faire une autofiction, L’Amour flou, et je me suis jetée dans cette adaptation avec la certitude de faire quelque chose de totalement différent, que je n’avais pas besoin de moi ni de me filmer, car tout était déjà dans le livre. Bien sûr, j’avais envie de me raconter, de raconter ce qui me meut et me touche, mais j’avais l’occasion de me planquer derrière l’histoire de Clémentine pour que ce soit moins dénudant. Et puis, au fur et à mesure de l’écriture, à mon corps défendant, il s’est imposé que le film était incomplet. Heureusement, je travaille avec un coscénariste, Gabor Rassov, qui m’a presque accouchée du scénario final. L’envie et le besoin de ressusciter l’image de ma mère, de lui rendre hommage, se sont imposés. J’ai senti que si je passais à côté de cette occasion, ce serait un regret infini.
Combien de temps aura duré cet accouchement ?
La première version a été assez rapide, très agréable, confortable à écrire pour moi. Je transposais les scènes, je les dialoguais, cela m’a peut-être pris six mois. Mais quand l’idée de faire percuter cette histoire avec ma vie a émergé, cela m’a pris deux ans de plus. D’autant que l'enquête sur la vie de ma mère s’est déployée pendant l'écriture. On s'arrêtait d'écrire parfois pour aller chercher des réponses. On revenait, on les intégrait au scénario, et puis un nouveau trou de mémoire, un nouveau vide surgissait. L’écriture du film s’est transformée en quête.
Ce qui frappe, dans le récit de Clémentine Autain comme dans le vôtre, c’est le fait que vos « mauvaises » mères sont aussi des femmes aux vies très compliquées, traumatisantes. Y avait-il dans votre démarche une tentative de réparation envers ces femmes auxquelles personne n’a vraiment fait attention à l’époque, dans les années 1970 ?
Tout à fait. Lorsqu’on est enfant, on n’a pas une vision complète de cela. C’était une époque aussi où l’enfant n’avait pas le même statut qu’aujourd’hui, et dans cette quête de liberté et d’émancipation, on pouvait le sacrifier. Nous, enfants, avions une vision très dure de ces femmes qui étaient nos mères. Donc oui, il y a quelque chose de l’ordre de la restauration de la complexité de leur parcours et de la nuance de leur personnalité. C’est même une réhabilitation. C’était très important pour moi, c’est quelque chose qui me touche énormément, car leurs vies ont été si minuscules, si brèves… On a la chance de pouvoir rééclairer l’histoire et placer au centre des vies qui ont été ignorées, oubliées, perdues.
Et à vous, que vous aura apporté ce film ?
Un sentiment d’accomplissement. À la fois en tant que fille de ma mère, avec cette impression de lui avoir rendu sa place dans mon existence. Mais aussi comme femme, comme mère de mes enfants. J’ai réussi à ordonner un récit plus apaisé. Et puis j’ai un sentiment d’accomplissement en tant que réalisatrice, ce qui ne m’est pas donné tous les jours. J’ai l’impression d’avoir fabriqué un objet de cinéma qui, via une histoire très personnelle, rejoint celle des gens. Cela a été mon phare à chaque instant : espérer rester très intime tout en trouvant de la communion sur le sujet de l’enfance, de la blessure d’enfant, de la beauté et la force qu’on peut trouver là-dedans.
Propos recueillis par Margaux Baralon
Dites lui que je l’aime
Réalisé par Romane Bohringer
Romane décide d’adapter pour le cinéma le livre de Clémentine Autain consacré à sa mère. Ce projet va l’obliger à se confronter à son passé et à sa propre mère qui l’a abandonnée quand elle avait neuf mois.
En salles le 3 décembre.