RENCONTRE AVEC JULIA KOWALSKI ET MARIA WROBEL - « Je voulais réaliser un film fait de sueur, de sang et de boue »

© New Story

À la lisière entre un conte rural horrifique et un récit d’affirmation et d’éveil du désir, Que ma volonté soit faite raconte l’histoire d’une jeune fermière persuadée d’être possédée par le fantôme de sa mère, dont les sens vont être troublés par l’arrivée d’une nouvelle voisine. Interview avec la réalisatrice et l’actrice principale.

Julia Kowalski, quelle est la première image que vous aviez en tête pour écrire ce scénario ?

JK : C’est une bonne question, car mon processus créatif commence toujours à partir d’une vision, et cette image me hante pendant les années d’écriture et de développement du film. Pour Que ma volonté soit faite, j’ai vu une femme nue qui chevauche une vache à rebours, avec un amoncellement de lianes qui l’entourent. C’est une forme de rituel de sorcellerie. Finalement, cette image n’est pas dans le film mais c’est vraiment elle qui m’a guidée.

Maria Wróbel, quelle a été votre réaction à la lecture du scénario ?

MR : J’ai été intégrée très tôt dans le processus de création, notamment car j’avais joué dans le court-métrage de Julia, J’ai vu le visage du diable [sur une jeune femme croyant être possédée qui rencontre un exorciste, ndlr]. Les deux œuvres ont beaucoup de thèmes en commun. Alors je n’étais pas vraiment surprise quand j’ai lu le scénario de Que ma volonté soit faite, car je voyais ce film comme la poursuite de notre précédent travail.

En m’intéressant au personnage de Nawojka et aux autres femmes qui l’entourent, je me suis dit : « Elles sont vraiment trop fortes ! » Malgré tout ce qui leur arrive, elles surpassent la figure de la victime. Elles sont incomprises, rejetées, mais elles continuent de se battre pour exister. En découvrant Nawojka, j’avais l’impression de me revoir adolescente et je pense que beaucoup de gens peuvent se reconnaître là-dedans.

Le personnage principal, Nawojka, est persuadé d’être possédé par sa mère qui était une sorcière. Quel est votre rapport avec la thématique de la sorcellerie ?

JK : Quand j’étais jeune adulte, j’ai moi-même pratiqué la sorcellerie. J’ai été initiée par une sorcière dont je ne peux pas divulguer le nom. J’ai utilisé des grimoires de magie noire qu’on utilise encore dans certaines campagnes françaises.

Pour faire ce film, j’ai aussi mené une enquête approfondie, notamment en lisant les travaux d’une chercheuse du CNRS, Jeanne Favret-Saada, qui a étudié ce qu’elle nomme « la croyance en les sorts ». Elle a documenté les croyances paysannes. Certains pensaient, par exemple, que des sorcières venaient ensorceler leur bétail et cela alimentait les rivalités entre les exploitations. En la lisant, on comprend aussi que ce type de croyances se partagent entre les régions, et même en outre-mer. C’est encore le cas aujourd’hui puisque des livres de magie noire, venus du Moyen Âge, circulent toujours comme Le Grand et le Petit Albert, Le Dragon rouge… C’est un sujet bien plus universel qu’il n’y paraît.

Dans le film, il y a donc Nawojka, sa voisine avec qui elle va nouer une relation, mais aussi et surtout les hommes qui les entourent, que ce soient les frères et le père de Nawojka ou les autres habitants du village… Comment avez-vous construit cette opposition entre les deux personnages féminins et leur monde masculin ?

JK : Il est vrai que les hommes sont des personnages assez antipathiques dans le film, mais je ne voulais pas qu’ils ne soient que ça. Que ma volonté soit faite parle surtout des carcans qu’on nous impose. Le modèle patriarcal exige la construction d’un foyer, avec une femme qui doit se marier pour avoir un statut… La voisine de Nawojka, Sandra, et Nawojka elle-même se refusent à ces obligations et entrent donc, automatiquement, en rébellion contre le système. Elles deviennent des sorcières aux yeux des autres. Mais je voulais aussi montrer que les hommes sont victimes de ce système qui leur dicte leur conduite de « dur à cuire » et de « gros lourd ». Voilà pourquoi j’ai voulu ne pas les filmer trop durement et garder une certaine tendresse à leur égard.  

© New Story

Au contact de Sandra, le personnage de Nawojka va ressentir de la curiosité et du désir. Mais cet éveil s’accompagne aussi d’événements étranges et d’une certaine souffrance. Cette association semble jalonner votre filmographie, Julia. On pourrait penser à Crache cœur par exemple…

JK : Pour moi, il y a un lien entre le désir, la monstruosité et la souffrance. Ce sont des sensations qui me troublent et que j’ai envie de montrer. Je veux y réfléchir aussi : comment assumer ses désirs ? Qu’est-ce que cela veut dire de se sentir monstrueux, en désaccord avec ses propres désirs ? Mais surtout, je veux donner corps à ces sentiments et à ces questionnements. C’est un film très organique. Je voulais qu’il soit fait de boue, de glaire, de sang, de sueur…

Toujours dans cette idée de « donner corps », il y a l’image « très organique », car elle a été tournée à la pellicule, mais aussi le travail du son…

JK : Les prises de son au tournage étaient très particulières : on prenait parfois le son très près alors que nous étions en plan large. On a aussi utilisé du zoom. L’idée était d’éveiller et de brouiller les sens. Cela faisait écho aux sensations de Nawojka : elle souhaite tout taire et garder à l’intérieur, mais malgré ses efforts, ça déborde.

Nawojka est souvent sujette à des crises la nuit quand elle a l’impression que l’esprit de sa mère s’empare d’elle. Visuellement, ces passages pourraient être comparés aux crises d’hystérie documentées par la Salpêtrière à la fin du XIXe. Comment les avez-vous pensés ?

JK : Je ne voulais pas faire de grandes théories sur la possession de Nawojka, ni même sur le passé de sa mère. Il fallait laisser la place aux spectateurs pour leurs propres lectures. Est-ce que cette histoire de sorcellerie et de possession ne fait pas partie d’une mythologie familiale ? Est-ce réel ? Ou à l’inverse, tout comme à l’époque de Jean-Martin Charcot [neurologue ayant étudié l’hystérie à la Salpêtrière à la fin du XIXe siècle, ndlr], ne devient-elle pas malade à cause de tout un carcan sociétal qui lui est imposé ? Tout est possible.

Maria, comment avez-vous pensé votre jeu pour ces scènes de possession où votre corps est mis à rude épreuve ?

MR : J’adore jouer ce genre de scène. Je suis très intuitive, je ne pense pas, je ne me regarde pas. Je trouve ça assez libérateur. Durant notre premier tournage avec Julia, pour J’ai vu le visage du diable, j’ai appris à travailler avec tous mes sens : le toucher, le goût, l’odeur. C’est encore quelque chose que j’utilise beaucoup.

Puis, il faut savoir qu’avec Julia, nous nous entraînons en amont du tournage. Comme elle habite à Paris et moi en Pologne, cela se fait par vidéo, mais nous avons travaillé ces scènes et elle me donnait régulièrement des exercices.

© New Story

Aviez-vous des références particulières pour construire votre film ?

JK : Tous mes films ont des influences différentes. Pour Que ma volonté soit faite, j’ai pensé à certains films d’un de mes réalisateurs préférés, Jerzy Skolimowski, notamment Deep End, Travail au noir et Le Cri du sorcier. En dehors du thème de la sorcellerie, c’est aussi sa façon de dépeindre un moment où les gens vrillent dans leur vie. Toujours en restant du côté des films polonais, il y a bien évidemment Possession, d’Andrzej Żuławski. Puis côté américain, j’ai pensé à Carrie de Brian de Palma ou Les Chiens de paille de Sam Peckinpah. Ceux-là m’ont aidée à imaginer le personnage de Nawojka.

C’est marrant, en répondant à cette question, je me rends compte que je ne cite que des films faits par des hommes. Je pense que j’ai voulu m’emparer de codes dits « masculins » et les transformer pour me les réapproprier. Je veux montrer que j’en suis capable : mon cinéma peut être aventureux et romanesque. Cette audace n’est pas l’apanage des hommes.

Dernière question, spéciale Sorociné : quels ont été les films qui ont participé à votre éveil féministe ?

MR : Une spectatrice que nous avons rencontrée en festival a dit que notre film lui faisait penser à Lady Godiva. C’est une légende qui a été adaptée en de nombreux films. Cela m’a bien inspirée, car elle met en scène une femme forte qui se sacrifie pour sauver son peuple. Sinon, récemment, je citerais : Frances Ha de Noah Baumbach et Greta Gerwig. J’adore cette description de l’amitié entre femmes.

JK : Je pense en premier aux films de Patricia Mazuy, notamment Peaux de vaches, Travolta et moi. Ils m’ont vraiment marquée quand j’étais jeune. Il y a aussi le cinéma de Lynne Ramsay. J’aime le fait qu’elle se confronte à des sujets costauds, qu’elle ne corresponde pas du tout à l’idéal de la douceur qu’on voudrait imposer aux femmes. Dans cette même idée, je pourrais citer Kathryn Bigelow. Ce sont des réalisatrices qui montrent que ce n’est pas parce que nous sommes des femmes que nous sommes cantonnées aux films de discussions et d’appartements.

Propos recueillis par Enora Abry

Que ma volonté soit faite

Réalisé par Julia Kowalski

Avec Maria Wróbel, Roxane Mesquida, Wojciech Skibinski

La jeune Nawojka, qui vit avec son père et ses frères dans la ferme familiale, cache un terrible secret : un pouvoir monstrueux, qu'elle pense hérité de sa défunte mère, s'éveille chaque fois qu'elle éprouve du désir. Lorsque Sandra, une femme libre et sulfureuse originaire du coin, revient au village, Nawojka est fascinée et ses pouvoirs se manifestent sans qu’elle ne puisse plus rien contrôler.

En salles le 3 décembre.

Précédent
Précédent

RENCONTRE AVEC ROMANE BOHRINGER - « J’ai eu l’envie et le besoin de ressusciter l’image de ma mère »

Suivant
Suivant

TERESA - Teona Strugar Mitevska