RENCONTRE AVEC PAULINE LOQUÈS – « J’aime jouer avec la frontière entre l’infiniment grand et l’infiniment petit »
© BLUE MONDAY PRODUCTIONS
Dans Nino, on suit les pérégrinations d’un jeune homme pendant les deux jours qui précèdent le début de son traitement contre le cancer. La réalisatrice, Pauline Loquès, nous raconte la création de ce premier long-métrage, qui allie finement récit d’errance, drame intime et ode à l’amitié.
Le personnage de Nino est atteint d’un cancer de la gorge lié au développement d’un papillomavirus. Cela peut surprendre, car le papillomavirus est une IST dont on parle aux filles et peu aux garçons…
Absolument. Il y a eu de grandes campagnes de vaccination auprès des jeunes filles, notamment car le risque est de développer un cancer du col de l’utérus. Au départ, je ne savais pas que les garçons pouvaient également contracter un cancer de la gorge à cause de cette IST. Heureusement, les hommes commencent aussi à se faire vacciner.
J’ai choisi de parler du cancer de la gorge dans mon scénario pour plusieurs raisons. Déjà, c’est une maladie courante chez les jeunes. Mais ses chances de rémission sont élevées, entre 75 et 80 %. Puis, dans ce cas-ci, elle provient d’une IST, cela permettait aussi d’aborder le sujet de la sexualité. Ce choix de maladie m’est donc venu très tôt dans l’écriture.
Dans Nino, le personnage découvre qu’il est malade à ses trente ans et dans votre précédent moyen-métrage, La Vie de jeune fille, une trentenaire se faisait quitter par son fiancé pendant son enterrement de vie de jeune fille. C’est une obsession de mettre des bâtons dans les roues des trentenaires dans vos films ?
C’est marrant, je ne m’en étais pas rendu compte ! Mais il est vrai que c’est un âge qui m’intéresse beaucoup, car il représente un point de bascule. On perd un peu nos illusions et on réalise que tout ne se passera pas comme on l’avait imaginé à vingt ans.
Je pense surtout que ce qui relie ces deux films est le non-dit. Nino est malade et ne sait pas comment en parler à son entourage, tout comme mon personnage de La Vie de jeune fille qui vient de se faire larguer et ne sait pas comment l’annoncer à ses amies. C’est étrange, car de mon côté, je suis quelqu’un qui communique assez facilement. Voilà sûrement une obsession à creuser…
Justement, comment articule-t-on ses dialogues autour du non-dit ? Et comment dirige-t-on ses acteurs pour éviter des silences trop appuyés et trop lourds ?
Théodore Pellerin a une présence assez forte. Grâce à lui, les silences ne sont pas pesants. Pendant ces petits temps, on le regarde, on ressent toute son intériorité qui est très riche. Ensemble, nous ne voulions pas enfoncer le clou et faire de Nino un personnage très maladroit qui n’arrive pas à s’exprimer. D’une certaine manière, Nino se surprend à ne pas réussir à le dire et le spectateur s’en rend compte en même temps que lui. Comme cela peut arriver dans la vie. Le but était d’avoir un résultat assez réaliste.
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Il y aussi des dialogues qui sont très drôles, notamment une scène dans une salle de bain où Nino discute avec une de ses amies, Lina (incarnée par Estelle Meyer). Y a-t-il une part d’improvisation ?
Sur cette scène en particulier, il y a eu pas mal d’impro. Quand Théodore et Estelle se sont rencontrés, ils se sont immédiatement très bien entendus. Ils ont deux énergies très différentes. Estelle est très tactile, très volubile, alors que Théodore a quelque chose de plus réservé. Ils ont joué avec leurs personnalités respectives. Par exemple, à ce moment-ci, Nino veut aider Lina à se faire une piqûre d’hormones. Et aussitôt, Théodore – qui a ses petites névroses – a pensé : « Attention, il faut lui mettre du gel hydroalcoolique, sinon ça ne va pas du tout ! ». Estelle s’en est amusé et à partir de là, les rires sont arrivés.
De manière générale, j’aime laisser la place aux propositions. C’était la même chose avec William Lebghil [qui interprète le rôle du meilleur ami de Nino, ndlr]. Pendant le tournage d’une scène de fête, il a passé plusieurs dizaines de prises à simplement allumer une lampe. Et il arrivait toujours à le faire de manière différente, en ajoutant des dialogues, drôles ou touchants. De toute façon, avec William, chaque prise est une proposition !
Il n’est jamais simple de construire un récit d’errance sans perdre en rythme. Pourtant ce n’est pas le cas dans Nino. Comment l’avez-vous pensé ? Et aviez-vous peur de ce manque de rythme ?
C’est quelque chose qui me faisait vraiment peur. Dans ses premières versions, j’avais l’impression que le film ne racontait pas grand-chose. C’est assez complexe, car en tant que réalisatrice, on perd ce regard neuf et on ne parvient plus à imaginer ce que le spectateur va penser ou ressentir.
Je savais que Théodore pouvait tenir un film, car c’est un acteur auquel les gens s’attachent. Mais il a tout de même fallu trouver le bon équilibre, notamment durant les sessions de montage avec Clémence Diard. Pour être honnête, je n’ai pas été rassurée jusqu’à la première projection à Cannes.
Dans votre film, il est aussi question du côté éphémère des relations. Nino ne cesse de croiser des gens avec qui il échange pendant quelques minutes seulement. Puis, il retrouve une de ses ex petites amies ou encore une ancienne connaissance de collège…
J’adore l’incertitude. Je ne crois pas à ce qui est figé. Je trouve très beau que l’on puisse être proche de quelqu’un, même à l’échelle d’une journée, et se perdre à la nuit tombée. Ou que l’on puisse s’aimer, pendant longtemps, avant de devenir des étrangers. Ça n’en finit pas de me toucher. Car cela veut aussi dire que nous évoluons au fil des rencontres, qu’on ne préexiste pas réellement à ces rencontres. On peut donc se réinventer à chaque fois ! C’est une promesse de renouveau qui est gage d’espoir.
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Dans un des premiers plans de votre film, on voit aussi Nino marcher dans la rue au milieu d’un grand nombre de personnes. D’une certaine manière, lui aussi n’est qu’un homme parmi d’autres…
Quelqu’un m’a dit : « Nino est un film sur la vie ». Et en effet, ce qui arrive à Nino est assez petit finalement, au milieu de cette grande ville peuplée de gens qui ont aussi leurs problèmes. Il va voir sa mère, il revoit son ex, son meilleur ami… C’est assez commun. Mais en réalité, pour chacun d'entre nous, ces événements sont immenses s’il s’agit de notre vie. Tout drame prend de grandes proportions quand il nous arrive. J’aime jouer avec la frontière entre l’infiniment grand et l’infiniment petit.
Il y aussi autre chose qui préoccupe Nino. Avant de commencer son traitement, il doit faire congeler son sperme, car la chimio peut le rendre infertile. Pourquoi avoir ajouté cet élément dans son histoire ?
On m’avait dit que c’était une indication que l’on donnait aux patients. J’avais été assez étonnée, car tout se mélange : on pense à une mort possible à cause de la maladie et en même temps à un futur avec des enfants.
Je vais être honnête : je trouvais cela très drôle qu’il se trimballe avec ce petit pot [pour faire les prélèvements de son sperme et les remettre à l’hôpital, ndlr] pendant ces deux jours. Ça lui donnait une petite quête. De manière générale, on ne parle pas de l’horloge biologique chez les hommes alors que c’est quelque chose d’assez ancré chez les femmes. Les hommes de trente ans ne se demandent pas s’ils veulent des enfants, ils ont encore tellement de temps pour y penser ! Ici, Nino n’a que trois jours pour accomplir sa mission et se laisser la possibilité d’avoir des enfants.
Dans votre film, il y a une scène de sexe très originale dans laquelle le personnage de Zoé (Salomé Dewaels), une ancienne amie de collège de Nino avec qui il passe la nuit, lui lit un texte érotique à travers un babyphone. D’où vous est venue cette idée hyper originale ?
Rendons à César ce qui est à César ! Avec ma consultante au scénario, Maud Ameline, nous cherchions la manière dont Zoé allait lire le texte à Nino. On se demandait : est-ce qu’elle chante ? Est-ce qu’elle parle par-dessus la porte ? C’est là que ma productrice, Sandra da Fonseca, qui d’habitude est très discrète pendant nos réunions, est intervenue pour proposer l’idée du babyphone. On s’est dit que c’était une idée géniale – casse-gueule mais géniale !
J’adore la symbolique. Le personnage de Zoé est une jeune mère qui tente d’avoir une relation intime avec quelqu’un alors que son enfant dort dans l’appartement. D’une certaine manière, la scène avec le babyphone réconcilie et déconstruit les stéréotypes de la maman et de la putain – le fait d’être une femme tout simplement !
Propos recueillis par Enora Abry
>>> Pour lire la critique de Nino, cliquez ici.
Nino
Réalisé par Pauline Loquès
Avec Théodore Pellerin, William Lebghil, Salomé Dewaels
Dans trois jours, Nino devra affronter une grande épreuve. D’ici là, les médecins lui ont confié deux missions. Deux impératifs qui vont mener le jeune homme à travers Paris, le pousser à refaire corps avec les autres et avec lui-même.
En salles le 17 septembre 2025.