RENCONTRE AVEC ÉPONINE MOMENCEAU – « J’aime ces images à mi-chemin entre le réalisme et la recherche esthétique »
© INCOGNITO PICTURES - SUPERMOUCHE PRODUCTION - STUDIOCANAL - Jean-François Hamard
Repartie du Festival de Cannes avec le Prix de la jeune technicienne de la CST dans ses valises, l’artiste et directrice de la photographie Éponine Momenceau nous raconte son travail sur Connemara, le nouveau film d’Alex Lutz.
Présenté à Cannes Première, le quatrième film d’Alex Lutz, une adaptation du best-seller de Nicolas Mathieu Connemara, raconte l’histoire d’Hélène (Mélanie Thierry) qui revient dans sa ville natale à la suite d’un burn-out. Elle y retrouve son crush de lycée, l’ancien hockeyeur sur glace, Christophe (Bastien Bouillon), et entame avec lui une liaison adultère. Avec des réflexions sur le passage de la quarantaine et sur la possibilité du couple à être transfuge de classe, Connemara marque aussi par son esthétique travaillée. Ce dernier pan n’a pas échappé à la CST qui a remis le Prix de la jeune technicienne de cinéma à sa directrice de la photographie Éponine Momenceau (le jury était composé de Françoise Noyon, directrice de la photographie, et Remy Jacquelin, directeur de l’école de cinéma ESEC). Elle raconte les coulisses du tournage.
Comment êtes-vous arrivée sur ce projet ?
Mon parcours est assez diversifié. J’ai étudié la musique jusqu’à être diplômée du conservatoire. J’ai aussi fait des études scientifiques car il me fallait un bac+2 pour intégrer la FEMIS, école dans laquelle j’ai suivi le parcours dédié à l’image. Je ne visais pas forcément une carrière de directrice de la photographie. Je voulais avoir des notions en image et apprendre à me servir d’une caméra. Mon film de fin d’étude m’a fait aller vers l’art contemporain. J’ai participé à une exposition au Palais de Tokyo par exemple, et c’est à ce moment-là que Jacques Audiard est venu me chercher pour me proposer de travailler en tant que directrice de la photographie sur son film Dheepan [Palme d’or 2015, ndlr].
Ce film a généré beaucoup de rencontres. Quelques années plus tard, je suis entrée en contact avec Alex Lutz via son coscénariste Hadrien Bichet que j’ai connu lorsque j’étais à la FEMIS. Nous avons fait Une nuit ensemble et nous avons renouvelé notre collaboration pour Connemara.
Comment s’est passée la préparation de Connemara ?
La préparation de Connemara s’est déroulée assez rapidement, entre juillet et septembre. Nous avons évidemment fait des repérages. Nous nous sommes dirigés vers des lieux où il était possible de travailler avec la lumière naturelle. Je souhaitais un dispositif assez léger en lumière, de manière à être très mobiles et réactifs comme nous avions beaucoup de décors. J’ai assez vite ciblé mes outils : une caméra assez légère pour faciliter les déplacements. Il me paraissait important que les acteurs soient libres dans le décor pour créer du mouvement. Je n’aime pas les installations trop figées.
Pour Dheepan, j’avais réalisé beaucoup de tests en amont du tournage et la préparation avait été plus longue, aussi parce que le projet était très différent, un tournage plus long. C’était mon premier long métrage en tant que directrice de la photo et la production m’avait permis ce temps et m’avait accompagné dans ce qui me semblait nécessaire pour faire les bons choix et acquérir une forme de confiance.
Aviez-vous des références pour penser votre esthétique ?
Quand je lis un scénario, je pense à d’autres films, à des photographies, j’écoute beaucoup de musique et je rassemble un certain nombre de références dans un dossier qui devient un cahier d’inspirations… J’ai beaucoup revu les photographies de Nan Goldin pour Connemara bien que les univers soient différents. Je recherchais cette esthétique assez brute, notamment pour les scènes de sexe, quelque chose d’assez cru mais en même temps la présence d’une lumière solaire, comme dans ses œuvres. J’aime ces images à mi-chemin entre le réalisme et la recherche esthétique.
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Quels ont été les plus grands défis de votre travail sur le film Connemara ?
Au départ, il y avait une appréhension sur les scènes de hockey, leur mise en œuvre etc… et au final, cela s’est fait assez naturellement. Nous avons filmé pendant un véritable match de hockey, alors les figurants étaient le public déjà sur place ainsi que le groupe de hockeyeurs. Bastien Bouillon est entré sur la glace avec l’équipe avant le match pour l’introduction et nous avons pu tourner nos séquences pendant, avant et après avec la mise en scène d’actions plus précises.
En ce qui concerne les scènes d’amour, nous repoussions toujours un peu la question. Mais une fois le tournage amorcé, la confiance acquise, nous avons trouvé la bonne méthodologie dans le respect de l’intimité de chacun.
Le seul élément complexe que l’on pourrait relever était le nombre de lieux de tournage. Nous avions beaucoup de décors en six semaines, alors il fallait être très habile dans les changements et les installations.
On peut parfois penser qu’il est difficile de trouver une identité visuelle dans un film qui a un décor contemporain – comparé aux films d’époque, par exemple. Comment avez-vous trouvé votre patte pour Connemara ?
C’est une question à laquelle il m’est difficile de répondre… Ce que je peux dire est que chacun a sa manière de regarder, de s’emparer d’une histoire. Alex vient me chercher pour quelque chose de singulier qui colle à sa manière de travailler, de penser et d’imaginer.
Nous réfléchissons au film ensemble, à l’image qui sera la plus cohérente par rapport au scénario. Mais il me laisse beaucoup de liberté. Pour Connemara, j’étais à la recherche d’une image assez brute, d’une certaine âpreté, mais sans tomber dans la dureté, je souhaitais que les personnages soient enveloppés, avec des contrastes assez doux.
Après, mon travail se fait beaucoup sur le plateau, de façon assez instinctive. Je porte une attention particulière aux entrées de lumière, à la texture des décors, je suis très attentive aux acteurs. Connemara est un film où j’étais très proche d’eux. Je voulais quelque chose d’organique, que l’on ressente ce qu’il se passe à l’intérieur d’eux, qu’on les découvre à fleur de peau.
Dans Connemara, il y a beaucoup d’effets au niveau de l’image et du montage : des mises au point assez embrumées, des mouvements de caméra à l’épaule, puis des sauts d’une scène à l’autre avec des voix off qui se mélangent. Quelle main avez-vous eu sur le montage ?
Dans le scénario, il y avait des allers-retours entre l’histoire d’Hélène et celle de Christophe, mais le rythme n’était pas le même que dans le film aujourd’hui. Les parties sur chacun étaient plus longues, plus installées. Au montage, le remaniement a été assez radical. Nous suivons plus le parcours d’Hélène et Christophe fait irruption ponctuellement dans sa vie. De même, les scènes que nous avons tournées étaient assez longues, souvent tournées en plan séquence, en mouvement, ce qui générait une grammaire particulière, une certaine émotion. Au montage, les séquences ont été remaniées, enchevêtrées, pour donner un nouveau rythme et une nouvelle perception.
Avec Alex Lutz, nous parlons de montage pendant le tournage, mais une fois le tournage terminé, c’est une nouvelle phase de travail qui commence avec la monteuse du film. À la fin de la post-production, Alex nous a invités à une projection test et a pris en considération certains de nos retours. Mais il reste l’auteur du film, c’est lui qui décide, naturellement.
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Sur quels types de projets aimeriez-vous travailler à l’avenir ?
J’essaie de trouver un équilibre entre mon travail d’artiste et mon travail de directrice de la photographie. Je ne fais pas de plan d’action, je laisse les choses venir à moi au fil des propositions et des rencontres. Parfois, je refuse des projets cinématographiques pour me consacrer à mes créations personnelles.
Pour moi, les rencontres sont déterminantes. Je dois avoir l’envie de partager du temps avec quelqu’un, de collaborer artistiquement pendant plusieurs mois avec lui. J’ai la chance d’avoir fait des rencontres enrichissantes et précieuses toutes ces années. Je suis très heureuse de cette collaboration avec Alex Lutz et de la relation artistique que nous avons nouée.
Pensez-vous que votre genre a eu une importance dans votre parcours ?
Je ne l’ai jamais ressenti. Je pense que c’est une question de générations. J’ai commencé à travailler en 2011 et il y avait déjà un grand nombre de directrices de la photographie. Dans ma classe à la FEMIS, nous étions une moitié de filles et l’autre de garçons. Puis, quand j’ai commencé les tournages, j’ai toujours été très bien accueillie par les réalisateurs. Enfin, sur Connemara, nous étions une majorité de femmes sur le plateau.
Si on devait citer une seule influence du genre, ce serait le fait que j’ai fait beaucoup de musique et de danse étant jeune. Cela influence ma façon de bouger. J’ai un rapport très physique avec les acteurs et les actrices quand je travaille.
Que représente pour vous le Prix de la jeune technicienne de cinéma de la CST ?
J’avais déjà été nommée pour Une nuit d’Alex Lutz [présenté en clôture d’un certain regard à Cannes en 2023, ndlr]. C’est toujours très encourageant d’être reconnue par ses pairs. Faire un film est un véritable engagement physique et artistique, alors recevoir un prix est toujours une reconnaissance qui donne une forme de confiance et de perspective. Cela me donne envie de poursuivre mon expérimentation des images. J’aime travailler sur de nouveaux projets, avec de nouveaux défis, renouveler mon rapport aux images, le réinventer en préservant une singularité.
Propos recueillis par Enora Abry
Connemara
Réalisé par Alex Lutz
Avec Mélanie Thierry, Bastien Bouillon, Jacques Gamblin
Issue d'un milieu modeste, Hélène a quitté depuis longtemps les Vosges. Aujourd'hui, elle a la quarantaine. Un burn-out brutal l’oblige a quitter Paris, revenir là où elle a grandi, entre Nancy et Epinal. Elle s'installe avec sa famille, retrouve un bon travail, la qualité de vie en somme… Un soir, sur le parking d’un restaurant franchisé, elle aperçoit un visage connu, Christophe Marchal, le bel Hockeyeur des années lycées. Christophe, ce lointain objet de désir, une liaison qu'Hélène n'avait pas vue venir... Dans leurs étreintes, ce sont deux France, deux mondes désormais étrangers qui rêvent de s’aimer. Cette idylle, cette île leur sera-t-elle possible ?
En salles le 10 septembre 2025.