Cannes 2025 - RENCONTRE AVEC ALEXE POUKINE - « Les séances de BDSM sont presque métaphysiques »

© WRONG MEN

Réalisatrice des documentaires Sans frapper et Sauve qui peut, Alexe Poukine passe à la fiction avec un premier long-métrage, Kika, doux et surprenant, une histoire d’amour et de deuil, une plongée dans le milieu du BDSM, portée par une mise en scène ultra-sensible. Présenté vendredi dernier à la Semaine de la critique, Kika porte le nom de son héroïne, une assistante sociale magistralement interprétée par la comédienne Manon Clavel. Rencontre avec une réalisatrice habitée.

Le film porte le nom du personnage principal, Kika, une assistante sociale qui tombe progressivement dans le BDSM. D’où vient-elle ? 

À un moment donné, quand j'étais dans une certaine précarité, je me suis posé la question : comment faire pour continuer à faire du cinéma et à gagner ma vie si je suis seule ? L’idée que le travail du sexe était une solution m'a traversé l'esprit. Je me suis demandé comment on devenait travailleuse du sexe à presque 35 ans, quelles pratiques on envisageait… J'ai commencé à me renseigner sur le sujet, mais j’ai finalement reçu un financement pour un de mes documentaires et ai arrêté d’envisager la question. J'ai aussi un ami qui est assistant social et dominateur, il a beaucoup inspiré le film. Kika est un mélange de cet ami et de moi. 

Le film offre une vision novatrice et intéressante du milieu de la prostitution, particulièrement du BDSM, qui est vu comme quelque chose de l'ordre du care, presque médical et psychanalytique. Pensez-vous que le cinéma peine à représenter ce milieu-là ? 

Le folklore autour du BDSM cache un peu le sujet. Pour moi, c’est presque métaphysique, ce qui se passe pendant les séances de BDSM. Le travail du soin est caché par le folklore, les vêtements, etc. J’ai donc voulu faire un travail de détricotage. Il y a une espèce d'essentialisation des travailleurs du sexe : très souvent, quand les films commencent, les personnages sont déjà travailleurs du sexe, comme si on ne devenait pas travailleuse du sexe, et c'est toujours la maman ou la putain. C'était important pour moi de montrer une femme qui est une travailleuse sociale, une mère, une travailleuse du sexe et une amoureuse. J'aime bien les films qui ressemblent à des lasagnes, il y a plein de lignes narratives dans le film. En commission, les gens me disaient souvent qu’il y en avait trop, mais c'était important pour moi que cela reste le cas. 

Au début du film, le récit se fait très elliptique et assez rapide, puis le rythme change, les ellipses disparaissent, et la narration prend son temps. Comment avez-vous imaginé cette temporalité très particulière ?

Quand on a monté le film, il faisait 3 h 50, avec une bonne heure et demie de prologue, or il ne devait durer que 20 minutes. Au montage, on a dû inventer une écriture hyper elliptique, on avait des séquences qu'on adorait, notamment entre Kika et son nouveau compagnon David, mais on a décidé de s’en séparer et de créer toutes ces ellipses. Venant du documentaire, j'ai des habitudes d'écureuil, j'amasse énormément de choses en me disant « On verra au montage ». 

Kika est assistante sociale, et en même temps elle gagne de l’argent en insultant et humiliant les gens. Elle aide des personnes précaires à se loger, mais elle vit chez ses parents. Qu’est-ce que vous aimez tant dans la mise en scène de ces contradictions ?

Les contradictions, cela m'aide à vivre. Quand je vois des gens qui sont en pleine contradiction, je me dis que je ne suis pas seule. Au cinéma, je préfère la contradiction au conflit. On n'arrête pas de dire que le cœur du cinéma et de la dramaturgie, c’est le conflit. Souvent, dans le cinéma un peu viriliste, masculiniste, on met du conflit partout et plus ça fait mal, mieux c'est. Cela me fatigue, je trouve ça bête, pour moi ce sont des codes et des valeurs masculinistes dégueulasses. Donc oui, je trouve que la contradiction est plus intéressante, cela tiraille plus et cela nous rassemble plus.

Propos recueillis par Esther Brejon à Cannes le 17 mai 2025.

Kika

Réalisé par Alexe Poukine

Avec Manon Clavel, Ethelle Gonzalez Lardued, Makita Samba

Ce film est présenté à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2025.

Alors que son compagnon vient de mourir, Kika réalise avec stupéfaction qu'elle est enceinte. Complètement fauchée et le cœur en bouillie, elle hiérarchise ses priorités : 1- sortir de la mouise. 2- réfléchir à garder ou non cet enfant.

En salles le 12 novembre 2025.

Précédent
Précédent

Cannes 2025 - RENCONTRE AVEC ERIGE SEHIRI & AÏSSA MAÏGA - « Notre héritage africain a presque disparu de la culture tunisienne »

Suivant
Suivant

Cannes 2025 - LA PETITE DERNIÈRE - Hafsia Herzi