Cannes 2025 - Les cheffes de postes qui illuminent la Croisette !

© Black Label Media

Cheffes opératrices son ou cheffes décoratrices – ces métiers qu’on a trop souvent genrés au masculin – seront mis à l’honneur sous leur forme féminine au Festival de Cannes grâce au Prix de la jeune technicienne de cinéma de la CST. Sorociné, qui est partenaire du prix, est allé à la rencontre de quatre des nommées.

Depuis 2021, la CST (Commission supérieure technique de l’image et du son) récompense une cheffe de poste ayant travaillé sur un film présenté en sélection officielle. Qui succédera à Evgenia Alexandrova, cheffe opératrice image pour Les Femmes au balcon de Noémie Merlant ? En attendant de le savoir, quatre des cinq prétendantes au Prix de la jeune technicienne nous racontent leurs parcours et reviennent sur les défis qu’elles ont relevés lors de la réalisation du film sélectionné.

Marion Burger, cheffe décoratrice pour Le Roi Soleil (Séance de minuit)

© Ilan J. Cohen

Elle a déjà été lauréate du Prix de la jeune technicienne de la CST en 2021 pour Un petit frère de Léonor Serraille.

Vous avez commencé par une école de mode, pourquoi vous êtes-vous tournée vers la décoration pour le cinéma ?

J’avais un attrait pour le textile, les matériaux, et je les imaginais aisément sur des surfaces. J’ai fait mes premiers stages en haute couture, chez Galliano par exemple, mais j’ai réalisé que ce n’était pas mon truc de rester à travailler dans un atelier. Très vite, mes employeurs l’ont compris et m’envoyaient faire les courses d’accessoires pour les shootings.

J’ai une cousine qui travaille dans le cinéma. Elle m’a parlé du métier de décoratrice et m’a proposé de l’aider sur un court-métrage. Cela a ouvert le champ des possibles. J’ai terminé une école de design et je suis allée finir mes études au Danemark où les enseignements sont plus libres : je pouvais faire du textile, en l’adaptant aux espaces, aux meubles… J’ai pu le découvrir sous toutes ses formes. C’était une formation pour être directrice artistique.

Je voulais raconter des histoires via des espaces – et le 7e art est un très bon médium pour cela. Puis, il y a eu des rencontres, avec des gens de la FEMIS entre autres, qui m’ont permis de commencer à travailler dans le cinéma…

Vous êtes aussi réalisatrice VR. Vous avez notamment créé l’expérience interactive Empereur (qui raconte la relation entre une jeune femme et son père atteint d’aphasie) avec Ilan Cohen…

Lorsque je crée, j’aime varier les supports. Je voulais faire un projet qui parlerait de l’aphasie de mon papa. D’habitude, je travaille pour les autres, mais cette fois, j’avais quelque chose à raconter. Cette perte et modification du langage qu’est l’aphasie m’a fait réfléchir et m’a touchée. J’ai commencé à écrire cette histoire dans mon coin en imaginant que j’en ferais peut-être un film d’animation. Puis, Ilan Cohen a pensé à la réalité virtuelle. Il est vrai que la VR est très intéressante, notamment car elle permet d’appréhender les espaces – ce qui me plaît beaucoup. Nous nous sommes donc lancés dans le projet.

Comment avez-vous commencé à travailler sur Le Roi Soleil ? Et quel a été le plus gros défi concernant la décoration sur ce film ?

J’avais déjà travaillé avec Vincent Cardona [réalisateur du Roi Soleil dans lequel jouent notamment Pio Marmaï, Lucie Zhang et Sofiane Zermani, ndlr] pour son précédent long-métrage, Les Magnétiques. C’est un beau projet car c’est un huis clos [qui se déroule dans un bar PMU, où un homme meurt après avoir gagné un ticket de loto, ndlr] alors l’espace principal doit être hyper travaillé, car on finit par en observer tous les détails. Mais en même temps, pour y passer environ cinq semaines, il faut que le plateau soit très praticable pour le jeu et les installations techniques.

Le décor est censé donner sur une rue à Versailles. Il fallait que les raccords entre l’extérieur et l’intérieur soient hyper crédibles. Nous avons pris environ quatre mois à penser et à faire des repérages pour créer ce décor.

Sur quels types de projets aimeriez-vous travailler à l’avenir ?

Je suis actuellement en tournage pour une série HBO, Paolo, réalisée par Sébastien Marnier. Mais à l’avenir, j’aimerais bien travailler sur des films d’époque, car j’ai fait plusieurs films aux décors contemporains et très citadins. En même temps, travailler un décor contemporain est assez challengeant : il est plus difficile de sortir du lot.


Mariette Mathieu Goudier, cheffe opératrice son de Love Me Tender (Un certain regard)

Comment vous est venu cet attrait pour le travail du son au cinéma ?

J’ai fait une licence d’art du spectacle à Poitiers, puis j’ai commencé un master de recherche sur le son au cinéma. Mais je l’ai arrêté, car je voulais me tourner vers des études plus professionnalisantes. J’ai choisi une licence pro à l’IUT de Corse.

Ce qui m’attirait en premier était le cinéma. Le son est venu plus tard, quand je me suis rendu compte que c’était l’endroit de la narration qui me touchait le plus. Par exemple, mon film préféré est Les Roseaux sauvages d’André Téchiné – j’aime les voix, les accents, toute cette ambiance créée par le son.

Comment vous êtes-vous retrouvée sur Love Me Tender ?

L’année précédente, je travaillais à la perche pour L’Effacement de Karim Moussaoui. Le directeur de la photographie, Kristy Baboul, connaissait l’équipe qui se lançait dans le projet Love Me Tender. Il nous a présentés et nous nous sommes tout de suite entendus.

Quels ont été les plus gros défis du film concernant le son ?

Il y a énormément de décors sur ce film. Il fallait donc penser à une configuration du matériel qui soit pratique et très adaptable afin de pouvoir en changer très souvent. Dans le film, il y aussi beaucoup de voix off, alors il fallait réfléchir à la façon de la diffuser pour que les comédiens puissent jouer en étant au plus près des intentions de la scène.

Sur quels types de projets aimeriez-vous travailler à l’avenir ?

J’aimerais continuer à faire des longs-métrages de fiction. Le but est de m’associer avec des réalisateurs et des réalisatrices dont j’aime le travail et dont j’apprécie la manière d’exercer. Avec Anna [Cazenave Cambet, réalisatrice de Love Me Tender, ndlr], les rapports étaient assez horizontaux. Elle avait le collectif en tête. C’est typiquement le type de réalisatrices avec lesquelles je voudrais continuer à collaborer.


Mathilde Poncet, cheffe décoratrice de Love Me Tender

Pourquoi vous êtes-vous tournée vers la création de décors pour le cinéma ?

J’ai fait des études de cinéma depuis le début : un baccalauréat option cinéma, puis fac de cinéma à Bordeaux et enfin, une école de cinéma à Paris. À l’origine, je voulais être réalisatrice et scénariste. Mais en faisant des stages en régie, j’ai découvert la décoration. Le côté manuel m’a plu, alors j’ai commencé à faire des stages en tant qu’accessoiriste – un métier que je continue d’exercer quand je ne fais pas la déco. Puis les expériences et les rencontres m’ont permis de devenir cheffe déco.

Comment vous êtes-vous retrouvée sur Love Me Tender ? Et quel a été le plus grand défi ?

J’avais fait le précédent film d’Anna Cazenave Cambet, De l’or pour les chiens, et nous sommes toujours restées en contact. Pour Love Me Tender, le défi était le grand nombre de décors. L’histoire [celle d’une femme incarnée par Vicky Krieps, qui perd la garde de son fils lorsqu’elle avoue à son ex-mari qu’elle a des relations avec des femmes, ndlr] se déroule sur cinq ans et le personnage principal déménage beaucoup. Parfois, nous n’utilisions des décors que pour une demi-journée, alors cela demandait de la logistique.

Heureusement, nous avons eu le scénario assez tôt et nous avons pu discuter en amont avec Anna. Nous travaillions dans des décors vides pour les appartements – ce qui est génial, car nous pouvons laisser aller nos idées, mais c’est aussi une contrainte car tout est à faire. Cela demandait de réaliser un grand nombre de planches, de trouver des inspirations et des références pour que chaque lieu ait une âme particulière.

Compte tenu des financements, il fallait tourner plusieurs séquences dans le Lot-et-Garonne et ce, même si le lieu devait se trouver à Paris dans la fiction. Nous devions donc trouver des volumes qui correspondent à des appartements parisiens. Ce fut vraiment un tournage très dense – pendant lequel nous avons parfois tourné dans une quinzaine de décors dans la même semaine!

Sur quel type de projets aimeriez-vous travailler à l’avenir ?

J’ai aussi travaillé sur un autre film projeté à Cannes, L’Engloutie de Louise Hémon, présenté à la Quinzaine. Et à présent, je suis sur le tournage de La Gradiva de Marine Atlan. À l’avenir, j’aimerais bien travailler sur des films kitsch, avec une esthétique rétro un peu fake empruntée aux années 1980. Ce serait drôle d’assumer ces couleurs giga pétantes. Dans ce genre-là, on peut penser aux films de Bertrand Mandico, d’Alexis Langlois ou aux clips de la chanteuse Niagara. Pourquoi pas une comédie musicale d’ailleurs ?

 

Armance Durix, chef·fe opérateur·ice son de Dalloway (Séance de minuit)

Iel a déjà gagné le Prix de la jeune technicienne de la CST en 2021 pour son travail sur Mi Ubita, mon amour, le premier film en tant que réalisatrice de Noémie Merlant.

Comment vous êtes-vous intéressé·e au son ?

J’ai fait un BTS audiovisuel à Roubaix avec une option son, puis deux ans à l’INSAS (Institut national supérieur des arts du spectacle) à Bruxelles. J’ai alors effectué des stages sur les plateaux. Je ne sais pas vraiment ce qui m’a attiré·e vers le son en premier lieu. J’aimais bien la musique, mais mon goût pour la prise de son au cinéma est vraiment venu au fur et à mesure de mes expériences.

Comment avez-vous rejoint le projet Dalloway ?

Le coscénariste, Nicolas Bouvet, qui est également monteur son du film, avait entendu parler de moi. De plus, Dalloway est une coproduction France-Belgique, alors l’équipe voulait un ou une cheffe son installé·e en Belgique – en plus d’un profil jeune.  

Même s’il s’agit de mon quatrième ou de mon cinquième long-métrage en tant qu’ingénieur·e du son, je me considère encore comme junior, alors j’étais très impressionné·e de me retrouver sur une aussi grosse production.

Quel était le plus grand défi de ce film ?

Dans le film, la comédienne Cécile de France joue une romancière qui dialogue avec une IA pour l’aider à trouver de l’inspiration. La voix de cette IA était un vrai défi. Nous ne pouvions pas la retransmettre sur le plateau afin d’avoir une prise de son très propre – mais Cécile devait impérativement l’entendre pour jouer. On a alors imaginé un dispositif avec une oreillette très discrète qui permettait à Cécile de France d’entendre la personne qui se chargeait de lui donner la réplique. D’ailleurs, j’ai très vite dû expliquer à la production qu’il fallait créer un nouveau poste – pour donner la réplique à Cécile. Je ne pouvais pas m’en charger en étant dédié·e à la prise de son et le réalisateur, Yann Gozlan, devait rester concentré sur l’entièreté de la scène. Cela a été une expérience très instructive, que ce soit au niveau du dialogue avec la production ou du côté technique.

Quels types de projets aimeriez-vous faire à l’avenir ?

Je prépare un nouveau long-métrage, le premier film d’un réalisateur belge, et je suis très content·e. C’est typiquement le type de projet que j’aime. Il y a un scénario qui me parle, qui me touche. Le réalisateur fait très attention à la prise de son. Sur le plateau, la hiérarchie n’est pas le maître mot et les personnes de l’équipe sont très diverses, qu’il s’agisse du genre ou de l’âge. C’est un film qui porte mes valeurs, aussi bien dans son écriture que sur son set.

Pour lire la critique de Dalloway, c’est par ici.

Propos recueillis par Enora Abry 

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