MERTEUIL - Jessica Palud
Copyright Carolines Dubois - HBO Max
Rendez-nous notre marquise !
On nous l’a vendue sulfureuse, machiavélique, punk, et même « féministe » pour les critiques les plus aventureux. Mais la série Merteuil se révèle pataude dans sa réalisation, ringarde (voire problématique) dans son propos et en parfaite contradiction avec Les Liaisons dangereuses de Laclos.
Disons-le de suite : cette critique ne s’appuie que sur les deux premiers épisodes. Il en reste donc quatre (puisque la saison en comporte six) pour rendre ces arguments caducs, et même si on le souhaite, les espoirs sont minces. L’idée de raconter la jeunesse de la légendaire marquise de Merteuil est absolument séduisante – comment est-elle devenue cette femme froide et manipulatrice ? Comment a-t-elle pu se frayer un chemin dans les plus hautes sphères de la société de l’Ancien Régime tout en accumulant les ennemis ? – mais malheureusement, sa réalisation l’est moins. Dès les premières minutes, Merteuil déçoit, puis agace. À des images semblant tout droit sorties d’un mauvais clip (non, un montage ultra-rapide ne cachera pas la pauvreté d’un champ-contrechamp perpétuel) s’ajoutent une bande-son poussive (non, accorder ses violons avec des vibes électro ne suffit pas à rendre moderne ni même punk une œuvre d’époque) et un scénario qui accumule les dialogues de séries B et les intrigues simplistes. Même les acteurs ne paraissent pas croire à cet ensemble vide et pourtant boursouflé. Anamaria Vartolomei (Merteuil) et Vincent Lacoste (Valmont), d’habitude formidables, chuchotent leurs répliques sans conviction. Diane Kruger (Mme de Rosemonde), qui ne devrait plus rien avoir à prouver, cabotine des laïus interminables et creux sur la guerre des sexes. Seul Lucas Bravo (comte de Gercourt) s’en sort en assumant tout le kitsch de la situation (c’est dire !). On reconnaîtra tout de même la beauté des décors et des costumes. C’est au moins ça…
Vous étiez créatrice, madame de Merteuil, vous voilà créature…
Quand on découvre pour la première fois la marquise de Merteuil, souvent au lycée, en lisant Les Liaisons dangereuses de Laclos ou en regardant son exceptionnelle adaptation par Stephen Frears, un élément frappe : pour une fois, une femme semble dominer l’entièreté de la situation. Même un personnage masculin aussi puissant que charmeur, le vicomte de Valmont, n’échappe pas à la règle et tombe dans ses filets. La façon dont elle est arrivée tout en haut de l’échelle, elle la raconte dans l’iconique lettre 81 adressée à Valmont. La marquise s’est construite seule et est devenue maîtresse en l’art de la dissimulation et de la manipulation pour tenter de déjouer la domination masculine. Ce postulat, finalement peu vu et résolument moderne pour un roman du XVIIIe siècle, a été balayé d’un revers de manche (tout en dentelles) par Merteuil.
Dans la série, nous découvrons Merteuil au couvent (alors qu’elle n’y a jamais mis les pieds, relisez la lettre 81 !). Elle tombe amoureuse d’un homme, s’enfuit de chez les sœurs pour l’épouser mais ce dernier disparaît juste après la nuit de noces. Il s’agissait en réalité du vicomte de Valmont qui lui a joué un mauvais tour. Déshonorée et sans ressources (car elle est orpheline, et n’a donc pas une « mère vigilante » comme le spécifiait la lettre 81 !), elle se tourne vers la tante de Valmont, Mme de Rosemonde, une libertine manipulatrice qui l’intègre à ses plans pour faire tomber un de ses ennemis : le comte de Gercourt.
Copyright Carolines Dubois - HBO Max
Si nous pouvons fermer les yeux sur toutes ces incohérences accumulées en un temps record (et encore…), il est plus difficile de pardonner l’inversion de statut que subit la marquise de Merteuil. Elle qui était créatrice (autant d’elle-même que du vicomte de Valmont qui lui obéit au doigt et à l’œil dans le roman) devient une simple créature, qui a besoin de mentors, comme Rosemonde et Valmont, pour faire son éducation. Ainsi, tout ce qui faisait son originalité autant que sa force lui est arraché. De même, son besoin de vengeance et de domination perd tout écho. Dans Merteuil, elle est une jeune fille déshonorée qui veut punir l’homme qui lui a fait du mal. Dans le roman, elle devient qui elle est en réaction à l’oppression masculine dans son ensemble. Elle raconte avoir vu les femmes de son entourage être silenciées. Son analyse de la condition féminine et la peur que celle-ci lui inspire sont les motifs de sa haine. Nettement plus classes, universels et révélateurs qu’une peine de cœur, non ?
La marquise de Merteuil n’a jamais été féministe !
Qu’on se le dise et qu’on se le répète : la marquise de Merteuil, aussi inspirante et puissante soit-elle, n’a jamais été féministe. Ceux qui brandissent la réplique « [Je suis] née pour venger mon sexe et maîtriser le vôtre », toujours dans la lettre 81, pour affirmer le contraire n’ont certainement pas lu le livre. Pour cause : Merteuil n’agit que pour elle-même et n’a aucune compassion pour les autres femmes. Pour arriver à ses fins, elle peut en sacrifier plusieurs en ruinant leur réputation, sans même sourciller (pensons à la jeune Cécile de Volanges). Dès lors, vouloir faire une relecture féministe de son histoire, comme le disait Jessica Palud ainsi que les comédiens et les comédiennes, n’a un intérêt que très limité. Cela aurait pu être le cas si le scénario s’était attaché à détailler l’oppression patriarcale de cette époque afin de démontrer l’impossibilité des femmes de faire corps pour y répondre. À la place, on nous sert une amitié étrange entre Merteuil et Rosemonde qui tombe comme un cheveu sur la soupe pour donner une impression de sororité. Et même cette amitié n’est pas dénuée de clichés vieux comme le monde, avec la beauté vieillissante qui se lie à la jeune fille pour continuer à exister en société…
Bref, en voulant moderniser à tout prix, la série Merteuil réussit l’exploit contradictoire d’être bien plus rétrograde et tristement conventionnelle que le classique du XVIIIe siècle duquel elle est issue.
ENORA ABRY
MERTEUIL
Série créée par Jean-Baptiste Delafon, réalisée par Jessica Palud
Avec Anamaria Vartolomei, Diane Kruger, Vincent Lacoste
Pour être l'héroïne de sa propre vie, elle va briser celle des autres.
Orpheline sans fortune, la jeune Isabelle de Merteuil se laisse piéger par les fausses promesses du vicomte de Valmont. Ivre de vengeance, elle se lance dans une vertigineuse ascension, défiant les hommes et leur pouvoir, depuis les bas-fonds libertins jusqu'à la cour de Louis XV. Au bout de sa lutte, un choix déchirant l'attend, entre amour et liberté.
Disponible sur HBO Max.