AFTER THE HUNT - Luca Guadagnino
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Zone de flou
Le réalisateur de Call Me by Your Name s’attaque à l’ère post-#MeToo dans son nouveau film, sorti directement sur Prime Video. Et confond le trouble avec le brouillon.
Auréolé de la présence de Julia Roberts au casting, d’une présentation à la Mostra de Venise et d’une bonne dose de polémiques (le film est-il pro ou anti-#MeToo ?), sans compter l’aura de son réalisateur, l’Italien Luca Guadagnino, encensé depuis Call Me by Your Name en 2017, After the Hunt aurait dû être l’un des moments marquants de l’année cinéma à venir. Las, l’éléphant de la hype a accouché en France d’une souris de plateforme, avec une diffusion en catimini sur Prime Video. Après visionnage, force est de constater que le géant du streaming n’a pas privé les spectateurs et spectatrices adeptes des salles obscures d’un chef-d’œuvre.
Sur le papier pourtant, Luca Guadagnino disposait d’un scénario (signé Nora Garrett, débutante en la matière) très prometteur. En 2019, dans la prestigieuse université de Yale, Alma (Julia Roberts) et Hank (Andrew Garfield) sont tous les deux professeurs de philosophie. Derrière leur amitié se cache un peu plus que cela : un attachement qui remonte à loin et un fort esprit de compétition, alors qu’un poste de titulaire est en passe d’être pourvu. La première a l’habitude, avec son mari Frederik, psychiatre (Michael Stuhlbarg, le père incroyable de Timothée Chalamet dans Call Me by Your Name), d’organiser des dîners mondains chez elle. Toute l’intelligentsia s’y presse et, l’alcool aidant, s’y affronte verbalement. La scène d’ouverture du film consiste d’ailleurs en cela : une discussion de plus en plus avinée entre professeurs et élèves, notamment Maggie (Ayo Edebiri, caution cool et branchée du casting), autour des tourments de l’époque et de la sensibilité des jeunes générations. Le lendemain, la jeune femme, protégée d’Alma, confie, tremblante, à cette dernière que Hank l’a raccompagnée et violentée.
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Faux trouble
After the Hunt possède une grande qualité : éviter la démonstration, tant dans le déroulé des événements que dans l’écriture de ses personnages. Maggie est une jeune étudiante noire, mais elle est aussi issue d’une famille très aisée, parmi les plus gros donateurs de Yale. Hank a pour lui d’être un professeur reconnu, mais il vient d’un milieu pauvre et s’est battu pour intégrer un monde qui n’a jamais voulu de lui. Alma a beau être, elle aussi, dans la classe dominante du microcosme examiné, elle est entravée dans ses décisions par son besoin de titularisation.
Le problème, c’est d’abord que le film superforme dans l’un de ses objectifs : devenir franchement pénible. Tout, de la caractérisation de personnages odieux jusqu’à la bande-son dissonante de Trent Reznor et Atticus Ross, est censé nous mettre en situation d’inconfort. Mais le malaise a des vertus que l’excès rend caduques. Il aurait été possible de suivre les tourments des protagonistes s’ils avaient au moins le mérite du réalisme. Ce n’est pas le cas. À vouloir surjouer le trouble et le troublant, Luca Guadagnino sombre dans une cacophonie brouillonne, aussi pompeuse que les dialogues philosophiques qui grèvent son film, au point que même ses gestes de mise en scène deviennent fatigants. Il y a pourtant des scènes impressionnantes qui rappellent à quel point le cinéaste n’est pas manchot, comme cette discussion entre Alma et Hank juste après l’accusation, lors de laquelle le second s’empiffre de plats indiens tout en niant maladroitement.
Challengers, sorti en 2024, camouflait déjà sous un faux trouble des atermoiements intimes d’une banalité confondante (une femme hésitait entre un homme stable mais ennuyeux et un autre plein de panache mais rebelle). Avec After the Hunt, Guadagnino récidive en sens inverse : le pseudo-malaise cache une absence totale de propos, et le cinéaste n’a rien à dire de l’incompréhension entre deux générations de féministes ou de la difficulté de se saisir des violences sexuelles dans les institutions. Dans tous les cas, l’un des pires constats du cinéma s’impose : il n’y a là aucune émotion à transmettre.
MARGAUX BARALON
After the Hunt
Réalisé par Luca Guadagnino
Avec Julia Roberts, Andrew Garfield, Ayo Edebiri
Une professeure d’université est confrontée à un tournant personnel et professionnel lorsqu’une étudiante brillante porte une accusation contre l’un de ses collègues, tandis qu’un sombre secret de son propre passé menace d’être révélé.
Disponible sur Prime Video.