MATERIALISTS – Celine Song

© Adore Matchmaking LLC / Atsushi Nishijima

Le prix du couple

Sans prétendre en réinventer les codes, Celine Song recycle la comédie de remariage pour distiller une étude sur l’amour à travers un prisme économique. Une intention louable pour un casting cinq étoiles, mais qui finit par se prendre les pieds dans le tapis.

D’un triangle amoureux à l’autre. Après le sublime Past Lives qui l’avait menée jusqu’à la course aux Oscars, la réalisatrice canadienne et sud-coréenne Celine Song fait un retour hollywoodien avec Materialists, un trio romantique réunissant trois stars en vogue : Chris Evans (passé par la franchise Avengers), Dakota Johnson (révélée par la trilogie 50 Shades of Grey) et Pedro Pascal (le sexy daddy mondial depuis la série The Last of Us). De quoi créer beaucoup d’attente, mais aussi une méfiance certaine – le schéma de la cinéaste bankable vampirisée par les attentes des studios hollywoodiens ne date pas d’hier. Une attente méfiante entretenue par un marketing très agressif centré sur le capital sexy et sympathie des trois acteur·ices, Pedro Pascal en tête, dont la notoriété a explosé cette année dans la veine des acteurs définissant les contours de la « nouvelle masculinité ».

« Three tickets for Challengers, please »

Le résultat est à mi-chemin. Malgré son casting prestige et son ton de comédie romantique très balisée, Materialists garde une tonalité d’indie movie assumée. Car la réalisatrice continue sa collaboration avec le studio de production A24, porte-parole d’un cinéma exigeant, hors des logiques des majors, tout en restant accessible à un public relativement large. Le pitch en lui-même synthétise cette double identité : Materialists suit Lucy (Dakota Johnson), une jeune trentenaire new-yorkaise, comédienne ratée reconvertie en matchmakeuse pour une agence matrimoniale luxueuse. Elle fait la connaissance de Harry (Pedro Pascal), un prétendant richissime et parfait en tous points ; mais débarque alors John (Chris Evans), l’ex de Lucy, comédien de théâtre sans le sou qu’elle n’a jamais oublié.

© Atsushi Nishijima

Sous ses airs de comédie de remariage (on pense à l’âge d’or hollywoodien, The Philadelphia Story et le sourire canaille de Cary Grant en tête), cette intrigue sert de base pour développer une réflexion sur l’amour moderne et la place fondamentale de l’argent au sein du couple, de la même manière que le mélancolique Past Lives abordait à travers son trio amoureux l’identité culturelle et le souvenir d’un pays qui n’est plus le nôtre. Dans Materialists, tout est affaire d’argent et de classes pour Lucy, qui rêve d’ascension sociale et comprend que le mariage est le seul moyen de passer du côté des ultra-riches. Pour elle, l’amour est un marché comme les autres, où défilent sans aucun tabou les demandes du marché hétérosexuel pour satisfaire l’équation parfaite entre chaque camp : salaire et taille pour les femmes, jeunesse et beauté physique pour les hommes. 

Le principal mérite de Celine Song est de se servir du carcan ultra-rigide de la comédie romantique pour parler de l’amour à travers une dimension économique, d’autant plus dans un pays où les rituels autour du mariage représentent une immense industrie. Pour Lucy comme pour ses clientes, le mariage est resté une transaction commerciale où l’on vend ses meilleurs atouts pour s’élever socialement ou pour combler son sentiment de solitude. Lucy elle-même se rêve en transfuge de classe, vit toujours légèrement au-dessus de ses moyens, et n’a aucune honte à exprimer verbalement le fait qu’elle veuille épouser un homme pour son argent… Jusqu’au moment où elle admet qu’elle ne ressent aucun sentiment amoureux pour Harry.

Quand Harry rencontre Lucy

Difficile en effet de passer outre les codes de la comédie romantique, et c’est là où Materialists finit par se prendre les pieds dans le tapis – mais non sans un certain sens de l’ironie. Celine Song fait en permanence un pas de côté par rapport à son sujet, distillant un humour très meta sur plusieurs aspects de son film, notamment sur la beauté normée de ses acteur·ices (Dakota Johnson expliquant par exemple à Pedro Pascal pourquoi il représente le modèle absolu des attentes féminines hétérosexuelles, ou celui-ci lui racontant qu’il a eu recours à la chirurgie esthétique pour un meilleur « retour sur investissement » en amour). Mais elle ironise aussi sur le genre même de la comédie romantique, lorsqu’elle installe abruptement son trio romantique en quelques secondes, comme si celui-ci n’était qu’un prétexte pour s’attaquer à ce qui l’intéresse vraiment.

© Atsushi Nishijima

Ni véritablement une comédie romantique, ni vraiment un manifeste sur la dimension transactionnelle du mariage, Materialists finit par se perdre dans ses identités multiples. Dommage, par exemple, de ne jamais mentionner la question essentielle du sexe dans cette réflexion sur le mariage comme transaction. Dommage également que le film se perde dans une sous-intrigue confuse sur une agression sexuelle, qui semble plus amenée pour le principe que pour être vraiment menée à terme. Dommage, enfin, que le film se conclue avec une fin à rallonge franchement inutile, si ce n’est pour combler le cahier des charges de la romcom classique et faussement subversive.

Il est d’ailleurs ironique de constater qu’aux États-Unis, Materialists a provoqué l’émergence d’une nouvelle expression, la « broke man propaganda » (littéralement « la propagande de l’homme pauvre »), qui critique le choix final de la protagoniste pour le charmant prolétaire, dans la lignée de Titanic ou The Notebook. Une expression certes ironique, certes provoquée également par l’immense capital sympathie de Pedro Pascal qui n’incarne pas l’antagoniste classique des comédies romantiques, mais qui raconte aussi quelque chose de la manière dont on reçoit ces récits selon notre propre réalité. En 2025, à l’heure où la crise économique s’éternise, où le gouffre avec les ultra-riches se creuse de manière absurde, serait-il aussi simple que le prétend Chris Evans de sacrifier le confort financier au profit de l’amour ?

MARIANA AGIER

Materialists

Réalisé par Celine Song

Avec Dakota Johnson, Chris Evans, Pedro Pascal

Une jeune et ambitieuse matchmakeuse new-yorkaise se retrouve dans un triangle amoureux complexe, tiraillée entre le " match " parfait et son ex tout sauf idéal.

En salles le 2 juillet 2025.

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