LA CHAMBRE DE MARIANA – Emmanuel Finkiel
© Cinéfrance Studios - Curiosa Films - Metro Communications - United King Films - Proton Cinema - Tarantula - Arte France Cinema 2024
Entre les murs
Après le tragique et onirique La Douleur, Emmanuel Finkiel retrouve Mélanie Thierry pour une autre adaptation : La Chambre de Mariana d’Aharon Appelfeld, l’histoire d’un petit garçon caché dans la chambre d’une prostituée durant la Shoah. Un huis clos inventif où brillent les deux interprètes principaux.
Le film s’ouvre sur un jeu de lumière. Au bout d’un souterrain qu’on parvient à peine à discerner dans l’obscurité, un petit groupe avance et dévoile peu à peu le décor qui les entoure grâce à leur lampe. Aidés par un homme, Yulia et son fils Hugo (Artem Kyryk), traversent une ville ukrainienne en ruine pour rejoindre Mariana, une amie d’enfance de la mère. Cette dernière accueille Hugo, et pour le protéger au mieux des rafles, elle le cache dans le placard de la chambre qu’elle occupe dans une maison close. Coincé entre un mur décrépit et la porte qui le sépare de Mariana, Hugo entend tout, aperçoit peu, mais devine beaucoup.
Pour mettre en scène l’isolement de cet enfant, Emmanuel Finkiel reprend quelques motifs déjà utilisés pour La Douleur, film tiré du roman éponyme de Marguerite Duras dans lequel une femme attend désespérément le retour de son mari du front. Avec des passages d'hallucinations et un montage qui semble distendre le temps, le spectateur ressent la lutte d’Hugo pour ne pas perdre pied avec le réel et conserver ses souvenirs. L’enfant lit, tente d’écrire jusqu’à ce que son stylo disparaisse mystérieusement – comme une métaphore de l’impossibilité d’exprimer une pensée claire. Son attention, tout comme la nôtre, s’attache aux sons et aux lumières qui proviennent de la fameuse chambre de Mariana, avec laquelle il va nouer une relation ambiguë.
Si ce long-métrage fascine, c’est aussi parce qu’il sait prendre le temps de développer ses personnages avec finesse. Mariana (interprétée par Mélanie Thierry, qui a d’ailleurs travaillé la langue ukrainienne pour l’occasion et impressionne par sa maîtrise), insouciante de prime abord, se révèle torturée par des dilemmes moraux ou familiaux. Avec parcimonie, le scénario distille le background de son personnage, en évitant l’écueil d’une représentation trop misérabiliste de la prostitution (qui a malheureusement fait le sel de beaucoup trop de films). Face à Hugo, Mariana s’incarne, au-delà de l’image de la prostituée ou de celle d’une Juste sacrificielle, et entame avec lui une relation toujours sur le fil. Elle est tour à tour la confidente aimante ou la mère possessive quasi incestueuse.
Complétant ce subtil jeu d’équilibriste, Hugo se dévoile en retour, en passant de l’enfant prisonnier de ses souvenirs au jeune homme capable d’appréhender ce qui l’entoure et de prendre des décisions. On regrette cependant qu’une fois la relation entre les deux bien établie, La Chambre de Mariana finisse par tirer un peu en longueur. Mais il offre tout de même une très belle dernière scène, où s’illustre une fois encore le talent d’Emmanuel Finkiel, qui sait envelopper les endroits les plus sombres et désolés d’un voile de rêve.
ENORA ABRY
La Chambre de Mariana
Réalisé par Emmanuel Finkiel
Avec Mélanie Thierry, Artem Kyryk et Julia Goldberg
France, Belgique, Hongrie, Israël, Portugal, 2024
1943, Ukraine, Hugo a 12 ans. Pour le sauver de la déportation, sa mère le confie à son amie d’enfance Mariana, une prostituée qui vit dans une maison close à la sortie de la ville. Caché dans le placard de la chambre de Mariana, toute son existence est suspendue aux bruits qui l’entourent et aux scènes qu’il devine à travers la cloison…
En salles le 23 avril 2025.