FRAGMENTS D’UN PARCOURS AMOUREUX – Chloé Barreau

© Destiny Films

Vestiges de l’amour

Où vivent les souvenirs des amours passés ? Pour Chloé Barreau, la réponse est multiple : dans les lettres, les images, mais aussi dans les mémoires et les mots des autres. Entre archives et interviews, Fragments d’un parcours amoureux est ainsi le résultat d’un travail de reconstitution d’une jeunesse passée à aimer. Une tentative de réflexion sur l’amour, qui peine à tenir ses promesses.

Caméra à la main, Chloé Barreau a passé sa vie à documenter ses relations et a fini par faire de l’amour l’unité de calcul du temps. Chaque période de la vie, à partir du lycée, correspond à une histoire, une personne, ou à plusieurs à la fois. Rien d’étonnant, alors, dans le découpage en chapitres de son film, à ce que chaque partie porte le prénom d’un être aimé. En mélangeant images d’archives et entrevues, elle dresse ainsi un autoportrait indirect d’une « amoureuse de l’amour », dessiné par les mots de ses ancien·nes amant·es. Le procédé, s’il est séduisant en apparence, trouve vite ses limites dans l’alternance répétitive des images. Défilent alors une galerie de visages et de voix, plus ou moins connus (dont Rebecca Zlotowski, Anna Mouglalis ou Anne Berest), qui parlent avec émotion, tendresse et parfois âpreté de leur relation avec la cinéaste.

À une époque où la dématérialisation est reine, l’abondance d’archives physiques laisse songeur·se et nostalgique. Le film nous touche ainsi par l’attention qu’il accorde à ces matériaux qui le constituent, et notamment aux lettres. Conservées religieusement par la cinéaste, elles sont lues par celles et ceux qui les ont écrites, des décennies plus tôt. L’émotion ressentie devant les mots de sa jeunesse est alors communicative, sans aucun mépris ni moquerie pour les élans lyriques et épistolaires. Le film aurait gagné à explorer plus en profondeur cette question de l’histoire du sensible et de ses traces, mais c’est aussi là que Chloé Barreau tombe dans un écueil, qui rapproche son film davantage de l’égo-trip que d’une véritable réflexion introspective : elle met le travail de documentation au cœur de son projet, sans pour autant laisser aux documents le temps d’exister pleinement. Les extraits de films, mais aussi les photos, apparaissent rapidement, l’un chassant l’autre, et sont entrecoupés de plans de Paris et de Rome. Si l’aspect fragmentaire du titre aurait pu faire écho au fonctionnement de la mémoire elle-même, les images, du passé comme du présent, deviennent ici des illustrations au service de ce personnage d’éternelle amoureuse. Sous prétexte de s’effacer (on la voit à peine sur les images, et ce n’est pas elle qui semble conduire les interviews), elle fait émerger une présence paradoxale, à la fois fantomatique et surplombante. Les cartes postales du Colisée et des immeubles parisiens s’enchaînent, et la littéralité prend le dessus, comme lorsque Chloé Barreau fait correspondre le récit d’une « explosion sentimentale » avec l’incendie de Notre-Dame. On notera, par ailleurs, que la seule personne à interroger frontalement le sens même du projet est une cinéaste : Rebecca Zlotowski, qui questionne à la fois la démarche, mais aussi la place du regard amoureux dans la construction personnelle et cinématographique.

Si Fragments d’un parcours amoureux pouvait susciter la curiosité et l’enthousiasme, le résultat de cette documentation de la vie amoureuse ne résiste pas au piège égocentrique que l’on sentait poindre. Il ne s’agit pas seulement ici d’autosatisfaction, mais peut-être aussi de rachat pour les trahisons sentimentales. À défaut d’avoir toujours le beau rôle, Chloé Barreau est toujours le personnage principal. Si le flirt avec la vanité n’est pas sans charme, il fait rarement du très bon cinéma.

LOUISE BERTIN

Fragments d’un parcours amoureux

Réalisé par Chloé Barreau

Avec Rebecca Zlotowski, Anna Mouglalis, Anne Berest

Italie, 2023

Depuis ses 16 ans, entre Paris et Rome, Chloé a filmé ses amours. Coup de cœur adolescent, relation à distance, passion charnelle... alors qu’elle vivait une histoire, elle en fabriquait déjà le souvenir. Mais de quoi se souviennent ces ex ? Quelle est leur version des faits ? Douze d’entre eux se livrent pour reconstituer un parcours sentimental aussi singulier qu’universel.

En salles le 4 juin 2025.

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