Cannes 2025 - DES PREUVES D’AMOUR – Alice Douard
© Apsara Films
Amour à toute épreuve
En prolongeant son court-métrage L’Attente, césarisé en 2024, Alice Douard raconte l’histoire d’une femme qui doute de sa légitimité en tant que future co-mère, alors que sa compagne vit ses derniers mois de grossesse. Un scénario touchant porté par un duo d’actrices à l’alchimie parfaite : Ella Rumpf et Monia Chokri.
Rien ne sert de se péter un talon sur le tapis rouge du Grand Théâtre des Lumières, parfois (si ce n’est souvent), les pépites se dénichent de l’autre côté de la Croisette, dans les sélections parallèles. Et cette année, la Semaine de la critique a démarré fort : après le puissant L’Intérêt d’Adam de Laura Wandel, voici le sublime Des preuves d’amour d’Alice Douard, qui a ému aux larmes les spectateurs de l’Espace Miramar. On y suit Céline (Ella Rumpf) dont la femme Jeanne (Monia Chokri) est enceinte de leur premier enfant. Si l’insémination a fonctionné et que le bébé est bien en route, pour Céline, le chemin afin de devenir parent aux yeux de la loi vient à peine de commencer. Il faut établir des dossiers, prendre des photos et recueillir des témoignages (ce qui l’oblige à reprendre contact avec des personnes qu’elle avait laissées derrière elle – comme sa mère campée par la formidable Noémie Lvovsky), le tout en faisant face à « l’homophobie ordinaire » de ceux qui se demanderont toujours comment deux femmes peuvent devenir mères ensemble.
Inspiré du vécu de la réalisatrice, Des preuves d’amour marque déjà par l’originalité du choix de son sujet qui n’est ni le désir d’enfant, ni les changements dus à sa venue au monde, mais ce qui vient entre – l’attente, l’imagination des basculements à venir… Confiant dans le choix de sa thématique, le film prend le temps de développer ses personnages, sans ajouter d’arcs narratifs superflus. Non, le couple de Jeanne et Céline ne bat pas de l’aile. Non, le retour de la mère de cette dernière ne va pas chambouler leur quotidien. Il y a seulement ce quotidien justement, fait de doutes, de peur quant aux futurs changements, de réflexions maladroites des amis et du personnel administratif, mais aussi d’amour et de tendresse que le duo de comédiennes incarne à la perfection. La caméra d’Alice Douard ne loupe rien des regards qu’elles se lancent, des baisers qu’elles échangent (l’occasion, d’ailleurs, de voir une scène d’intimité avec une femme enceinte sans que cela soit présenté comme une étrangeté).
Pour animer cet écrin solaire (dont les couleurs éclatantes ne sont pas sans rappeler l’esthétique de La Fille de son père d’Erwan Le Duc), les dialogues fins, drôles, apportent une véritable musicalité, donnant parfois l’impression d’un film à sketchs (surtout dans sa deuxième partie) auquel chaque personnage ajoute sa note, qu’elle soit légère comme celle de Jeanne, grinçante comme les réflexions du couple d’amis ou un peu plus appuyée comme les paroles pesées de la mère de Céline. Mais Des preuves d’amour ne se contente pas de collectionner des saynètes délicieuses, il fouille son propos : au-delà de sa capacité à devenir co-parent, Céline s’interroge sur ce qui la rattache vraiment à sa propre mère qui a été si absente, se demande si elle connaîtra ce lien dont on dit qu’il est évident et si fort alors qu’elle n’a pas porté cet enfant. Récit sur la maternité, sur la beauté de « faire famille » avec ceux que l’on choisit, mais aussi sur l’importance de faciliter l’accès à la coparentalité, Des preuves d’amour ancre cette histoire intime dans des préoccupations contemporaines sans perdre son ton joyeux. Et ça fait du bien.
ENORA ABRY
Des preuves d’amour
Réalisé par Alice Douard
Avec Ella Rumpf, Monia Chokri et Noémie Lvovsky
Ce film est présenté à la Semaine de la critique en séance spéciale au Festival de Cannes 2025.
Céline attend l’arrivée de son premier enfant. Mais elle n’est pas enceinte. Dans trois mois, c’est Nadia, sa femme, qui donnera naissance à leur fille. Sous le regard de ses amis, de sa mère, et aux yeux de la loi, elle cherche sa place et sa légitimité.
En salles prochainement.