A HOUSE OF DYNAMITE - Kathryn Bigelow

© Netflix

Film de crise

La réalisatrice de Zero Dark Thirty et Detroit revient sur Netflix avec un film sous forme de compte à rebours, qui imagine la panique de l’administration américaine lorsqu’un missile inconnu menace de s’écraser sur les États-Unis. Épuisant, trépidant, très politique… et très maîtrisé.

Dix-neuf minutes. C’est le temps qu’il reste avant qu’un missile de provenance inconnue s’écrase sur une grande ville des États-Unis. Dix-neuf minutes que Kathryn Bigelow filme à trois reprises dans A House of Dynamite, en suivant les points de vue de personnages différents, plusieurs sur chaque segment, de plus en plus haut placés dans l’appareil d’État américain : les soldats d’une base militaire de défense en Alaska et une officière chargée de la surveillance de crise (Rebecca Ferguson), le chef du SRATCOM, qui contrôle les armes nucléaires américaines, et un conseiller à la défense (Gabriel Basso), puis jusqu’au secrétaire d’État et au président lui-même (Idris Elba). Un dispositif ultra-rodé, de la mécanique de précision, qui se retrouve déréglé face à une crise sans précédent. Et, pour Bigelow, une réactualisation du « film de guerre froide » qui lui donne tout le loisir de s’adonner à ce que la cinéaste, oscarisée pour Démineurs, affectionne tout particulièrement : l’action brute et sale, filmée caméra à l’épaule de manière quasi documentaire, dans laquelle s’illustrent des hommes et des femmes si performants qu’ils se rapprochent de machines – on se souvient des soldats disparaissant sous leur combinaison dans Démineurs, ou de l’agente froide de la CIA dans Zero Dark Thirty.

Cette fois-ci, la réalisatrice semble abandonner les faits historiques pour une projection vers le futur. A House of Dynamite confronte les processus à leur inadaptation au réel, les protocoles à leur inhumanité (lorsqu’on demande aux agents de la salle de crise d’inscrire leur nom et leur numéro de sécurité sociale pour identifier les morts plus tard) et le pouvoir potentiel des hommes à leur petitesse. À ce titre, le personnage du président américain, showman prompt à s’afficher tout sourire devant les caméras sur un terrain de basket, avant de se retrouver comme une poule devant un couteau lorsqu’on lui présente l’ensemble des possibilités de riposte nucléaire, est édifiant. C’est là, d’ailleurs, que le film semble moins une anticipation qu’une analyse fine du passé, tant cette figure emprunte à la fois au cool de façade de Barack Obama et à l’histoire de George W. Bush, exfiltré lui aussi alors qu’il était avec des enfants – c’était pour les attentats du 11-Septembre.

© Netflix

Mais ce qui impressionne le plus chez Bigelow, c’est sa capacité à coupler sa réalisation nerveuse, toujours en mouvement, avec une précision du cadre. En l’occurrence, la cinéaste tire parti de ses intérieurs froids et vitrés pour isoler, décentrer, parfois couper en deux ses protagonistes, illustrant tout à la fois leur dilemme intérieur – faut-il riposter immédiatement, quitte à déclencher une guerre nucléaire, ou accepter d’abord de tirer au clair les tenants et les aboutissants de ce bombardement, au risque de paraître faible ? – et le hiatus profond qui est le leur : surentraînés à réagir face à une menace nucléaire, ils n’en sont pas moins désarmés lorsqu’elle devient réalité.

Et c’est d’abord là que se niche l’intérêt de ce thriller nerveux : dans le fait de frotter le risque à sa réalisation, et de mettre les États-Unis, mais aussi le monde entier, face à la contradiction de la prolifération nucléaire. Ces armes ont tant été considérées comme un moyen de maintenir la paix par un équilibre de la terreur que leur danger intrinsèque semble aujourd’hui oublié de tous. A House of Dynamite vient le rappeler avec efficacité. Et sa multiplicité de points de vue sert moins à faire avancer l’intrigue – on est loin d’un Rashômon ou de The Last Duel – qu’à déplier l’intégralité d’un appareil militaro-industriel impressionnant mais inopérant. La multiplication des innovations techniques, des écrans aux anti-missiles, ne sert à rien : pour éviter la catastrophe, seuls comptent les hommes, les femmes et leurs décisions.

MARGAUX BARALON

A House of Dynamite

Réalisé par Kathryn Bigelow

Avec Rebecca Ferguson, Idris Elba, Gabriel Rosso…

Lorsqu'un missile de provenance inconnue est lancé sur les États-Unis, une course s'engage pour déterminer qui est responsable et comment réagir.

Disponible sur Netflix

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