VOYAGE AVEC MON PÈRE – Julia von Heinz

© Seven Elephants

Sortie de route

Un an après le décès de sa mère, Ruth (Lena Dunham), une journaliste new-yorkaise, décide de remonter le fil du passé familial en partant en Pologne, pays d’origine de ses deux parents. Rescapé d’Auschwitz, son père Edek (Stephen Fry) l’accompagne. Entre road trip, mélo et comédie, le film échoue, tant à faire rire qu’à émouvoir.

Adapté du best-seller Too Many Men de Lily Brett, Voyage avec mon père ne brille ni par sa mise en scène, ni par la subtilité de son écriture, et semble s’accrocher, tant bien que mal, à la performance de ses comédien·nes. Lena Dunham et Stephen Fry y interprètent un binôme qui aurait pu se révéler attachant, s’il n’était pas plombé par un scénario bancal et des dialogues faussement irrévérencieux. Les interprètes font ce qu’ils peuvent, mais sont en permanence sacrifiés par une écriture qui les condamne à la caricature. D’un côté, la fille, trentenaire divorcée qui compense l’effondrement de sa vie personnelle par un contrôle relatif de son alimentation. De l’autre, le vieux père qui refuse de replonger dans le passé, mais dont la sensibilité, sous une carapace de charmeur bon vivant, se révèle au fur et à mesure. L’absence de profondeur limite considérablement ce duo père-fille, et le malaise trouve une forme d’apogée dans une scène récurrente d’autotatouage. Seule dans sa chambre d’hôtel le soir, Ruth se pique avec une aiguille et de l’encre, dessinant un numéro de déporté sur sa cuisse. Le film est à l’image de cette vision, au mieux maladroit, au pire douteux quant à la représentation de la détresse qui traverse son personnage. Julia von Heinz se prend ainsi à son propre piège, celui d’une mise en scène académique et littérale, où les bons sentiments flirtent avec les fautes de goût.

La représentation de l’Holocauste est une question infiniment complexe, notamment pour le cinéma. Des documentaires fleuves de Claude Lanzmann aux mises en scène radicales de László Nemes (Le Fils de Saul) ou Jonathan Glazer (La Zone d'intérêt), les cinéastes ont questionné ce qui était de l’ordre de l’indicible et de l’immontrable. Quelques mois avant la sortie de Voyage avec mon père, l’acteur et réalisateur états-unien Jesse Eisenberg faisait lui aussi le pari de la comédie dramatique avec A Real Pain. La concordance de leur sortie, mais aussi de leur principe et de leurs motifs appelle malgré elle à une comparaison, qui n’est pas à l’avantage du film de Julia von Heinz. Si A Real Pain ne laisse pas un souvenir impérissable, il a le mérite d’une forme de subtilité, dans l’écriture comme dans le jeu des acteurs. Voyage avec mon père plonge quant à lui la tête la première dans le mélo et la psychologie de comptoir pour expliquer les traumatismes d’un duo père-fille en proie au deuil et aux atrocités d’un passé qui ne passe pas.

LOUISE BERTIN

Voyage avec mon père

Réalisé par Julia von Heinz

Avec Lena Dunham, Stephen Fry, Zbigniew Zamachowski

Allemagne, France, 2024

Une journaliste new-yorkaise propose à son père, rescapé des camps, un voyage en Pologne, son pays d’origine. Elle cherche à comprendre l’histoire de sa famille, tandis que lui n’a aucune envie de déterrer le passé. Un voyage qui s’annonce compliqué.

En salles le 9 avril 2025.

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