Notre top (enrichi) de films lesbiens
Tous les mois, la rédaction de Sorociné vous partage ses coups de cœur thématiques. En octobre, pour faire écho à la sortie du film La Petite Dernière d’Hafsia Herzi, Enora Abry, Noémie Attia, Lisa Durand, Mariana Agier, Louise Bertin, Diane Lestage, Léa Larosa et Victoria Faby vous dévoilent une version mise à jour de leur sélection de films lesbiens.
Jeunes filles en uniforme, Léontine Sagan, 1931
Et si nous nous tournions vers le premier film ouvertement lesbien de l’histoire du cinéma, Jeune filles en uniformes dont vous connaissez peut-être le remake de 1958 avec Romy Schneider ? Mais auparavant cette pièce allemande, intitulée Gestern und heute (1930) de Christa Winsloe, avait déjà été portée à l’écran par la cinéaste allemande Léontine Sagan (en co-réalisation avec Carl Froelich). Une élève est frappée d’un coup de foudre interdit pour une de ses professeurs et déclenche une révolution dans ce pensionnat de jeunes filles. Un casting entièrement féminin dans un film antimilitariste et antipatriarcal à travers les premiers émois adolescents, écrit et réalisé par une femme et qui, en plus, est le plus gros carton au box office mondial cette année-là. C’est historique ! D.L.
Les reines du drame, Alexis Langlois, 2024
Kikou (oui j’ai écrit ça) les adorateurs du camp et des popstars pailletés des années 2000, Les Reines du drame est fait pour vous ! Sous une lumière brillante à vous faire péter la rétine, découvrez l’histoire d’amour sur plusieurs décennies d’une gagnante de télé crochet, Mimi Madamour, et de Billie Kohler, une punk écorchée. Sans craindre d’atteindre le sommet du kitch, pour son premier long-métrage, Alexis Langlois livre une comédie musicale queer décalée qui vous donnera envie de ressusciter votre compte MSN et d’écouter des chansons gavés d’Auto-Tune à vous en faire saigner les oreilles. E.A.
Carol, Todd Haynes, 2016
Pour Todd Haynes, Cate Blanchett s’affranchit du genre et du temps. Après avoir incarné Bob Dylan dans un biopic-essai délirant (I’m Not There, 2006), l’actrice se glisse dans la peau d’une bourgeoise des années 1950, déstabilisée par son amour pour une jeune vendeuse (Rooney Mara, qui a décroché le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes pour ce rôle). Évitant l’écueil de la romance sulfureuse et sensationnaliste, le réalisateur braque sa caméra sur l’entourage du couple afin de peindre la société américaine d’après-guerre, profondément sexiste et homophobe. Si le développement et les analyses paraissent aussi justes, c’est aussi parce que le film a été adapté du roman éponyme de Patricia Highsmith, publié en 1952. Un roman qui, à l’image de la relation prohibée des deux protagonistes, a subi la censure avant de reparaître au grand jour dans les années 1980. E.A.
But I’m Cheerleader, Jamie Babbit, 1999
Dans But I’m a Cheerleader, Natasha Lyonne campe le rôle de Megan, une pom-pom girl parfaite et populaire qui découvre son lesbianisme lors de sa thérapie de conversion au sein de l’organisme True Directions. Dans cet établissement, on tente de rendre hétéros des ados gays en les faisant vivre en non-mixité imposée : les filles entre filles et les garçons entre garçons. Heureusement, l’ordre patriarcal est sain et sauf grâce au talentueux professeur de masculinité incarné par nul autre que… RuPaul. Malgré tous les efforts des thérapeutes, l’inévitable arrive et Megan tombe amoureuse d’une de ses camarades incarnée par une Clea DuVall en ado torturée, le pendant lesbien du trope du beau gosse ténébreux. Le raisonnement par l’absurde de But I’m a Cheerleader en fait une comédie romantique comme on les aime : drôle, subversive, et résolument camp. N.A.
Bound, Lana et Lilly Wachowski, 1996
Trois ans avant le mythique Matrix, les sœurs Wachowski ont réalisé l’un des films cultes de la cinéphilie lesbienne : Bound (1996). Dans ce premier long métrage, elles mettent en scène l’histoire d’amour tumultueuse et torride entre Violet (Jennifer Tilly), une jeune femme en couple avec un petit mafieux de Chicago, et Corky (Gina Gershon), une ancienne détenue reconvertie dans la plomberie. Savant mélange de romance et de thriller, Bound renouvelle le film de gangster traditionnel avec humour et irrévérence : les dialogues et l’écriture des personnages transforment le film noir en un genre saphique et émancipateur. Ici, l’érotisme lesbien n’est jamais gratuit, voyeur ou punitif, mais le résultat d’une attirance irrépressible qui s'avère être une condition de la libération. Bound est ainsi sûrement le film qui illustre le mieux le slogan des révoltes et révolutions queers : « be gay, do crime ». L.B.
TÁR, Todd Field, 2023
Lydia Tár (Cate Blanchett), cheffe d’orchestre réputée mondialement, mène une vie sophistiquée entre New York et Berlin, avec sa femme —également son premier violon— et leur petite fille. Alors qu’elle engage une jeune violoncelliste talentueuse lors d’une audition (presque) à l’aveugle, l’histoire de son ancienne protégée resurgit et sa carrière prend un tournant inattendu.
Une jeune première qui cherche sa place dans un métier, une patronne d’un certain âge ivre de pouvoir et au bord de la crise de nerfs, un monde artistique aussi inspirant qu’impitoyable… En fait, Tár c’est Le Diable s’habille en Prada, version drame psychologique lesbien. On adore la direction artistique et les costumes, la réflexion nuancée et troublante sur la cancel culture, et bien sûr, Cate Blanchett, résolument la plus lesbienne des hétéros. N.A.
My Summer of Love, Paweł Pawlikowski, 2004
Sous la chaleur de la campagne anglaise, la prolétaire Mona (Natalie Press) rencontre la bourgeoise Tamsin. C'est l'été de toutes les découvertes, les mensonges et les désirs. Les deux jeunes adolescentes nouent une amitié fusionnelle se muant progressivement en passion dévorante, devant la caméra naturaliste et sensible de Paweł Pawlikowski (Ida, Cold War). Entre luttes de classes, amour violent et mysticisme religieux , My Summer of Love est un film à la langueur brûlante, qui révèlait la comédienne Emily Blunt, dans le rôle de l'incandescente et ambiguë Tamsin. L.D.
Love Lies Bleeding, Rose Glass, 2024
Présenté comme un “thriller lesbien sous stéroïdes”, Love Lies Bleeding est le deuxième film de la réalisatrice britannique Rose Glass après l’horrifique Saint-Maud qui avait fait une sortie (trop) discrète en 2020. Campé dans les années 1980 reaganiennes, où le culturisme connaissait ses heures de gloire, le film suit l’histoire d’amour entre la bodybuildeuse Jackie (Katie O’Brian) et la solitaire Lou (Kristen Stewart), qui se retrouveront enrôlées malgré elles dans les sombres affaires familiales de Lou. Dans Love Lies Bleeding, la violence se retourne contre ses agresseurs, de la même manière que Rose Glass retourne le registre cinématographique masculiniste pour en faire un ode aux amours lesbiennes. Et questionne, tout au long de son film, cette réappropriation de la violence de ses agresseurs. M.A.
The Watermelon Woman, Cheryl Dunye, 1996
L'originalité de The watermelon woman contribue sûrement à sa renommée dans le patrimoine du cinéma lesbien. À la frontière entre documentaire et fiction, Cheryl Dunye incarne avec beaucoup d’humour une version alternative d’elle-même, naviguant dans les rues mouvementées de Philadelphie entre ses amitiés et sa relation amoureuse plutôt foireuse. Son obsession : la quête d’une actrice noire aperçue dans un film mais non créditée au générique, comme beaucoup d’autres dans le cinéma Hollywoodien des années 30. Une façon habile d’amener avec légèreté une charge politique immense. Si le jeu n’est pas parfait, l’énergie brute qui se dégage du montage et l’impertinence de Cheryl Dunye forment un résultat savoureux. L.L.
Audience, Barbara Hammer, 1982
Comment parler des cinémas lesbiens sans citer celui de Barbara Hammer, cette réalisatrice féministe et lesbienne à la filmographie expérimentale aussi prodigieuse que déroutante ? Si tous ses films sont à découvrir, Audience en est une belle porte d’entrée car on suit la réalisatrice en personne questionner par centaines les spectatrices de ses films à San Francisco, Londres et Toronto. Entre deux traits d’humour, le film dessine alors avec sensibilité l’importance de regarder du cinéma lesbien et d’en créer. Plus encore, il laisse s'exprimer la revendication des lesbiennes à être émancipées des imaginaires hétéronormés. En bref, il y aurait mille choses à valoriser de ce film mais peut-être peut-on simplement réaliser à quel point il est rare qu’un ou une cinéaste rende ainsi horizontale sa relation avec le public. Il s’agit là d’un geste puissant, précieux, finalement à l’image du cinéma politique et sincèrement révolutionnaire de cette réalisatrice exceptionnelle. V.F.