THE LIFE OF CHUCK - Mike Flanagan

© Neon

Joyeuse fin du monde

Adapté d’une nouvelle de Stephen King, The Life of Chuck offre une plongée mystérieuse et poétique dans la vie d’un homme ordinaire entouré d’une galerie de personnages féminins touchants.

Pour sa troisième adaptation du maître de l’horreur, Mike Flanagan décide de se renouveler. Il dit adieu aux trips hallucinatoires de Jessie et à l’hôtel hanté de Docteur Sleep pour se plonger dans l’une des œuvres les plus touchantes de King : la nouvelle The Life of Chuck, issue du recueil Si ça saigne publié en 2020. Pour ceux qui ne l’ont pas lue, la résumer en quelques lignes serait soit un crime de spoil (l’un des plus graves – vous en conviendrez), soit un délit de négligence (pourquoi réduire à une seule intrigue ce qui possède toutes les couches d’un palimpseste ?). Puisque les mots ne suffisent pas, évitons les pitchs de mauvais goût pour se contenter de quelques images : une fin du monde où la Californie se détache des USA pendant qu’un Tom Hiddleston habillé en comptable envahit tous les spots publicitaires de la région (« Merci Chuck ! » scandent-ils), une incroyable scène de danse (sûrement l’une des plus belles du cinéma contemporain) sur un solo de batterie endiablé et enfin, un petit garçon assis sur son canapé qui écoute les histoires de fantômes racontées par son grand-père.

Formé de trois actes qui, s’ils pourraient aisément exister pour eux-mêmes, prennent tout leur sens une fois assemblés, The Life of Chuck bascule du récit apocalyptique à la tranche de vie, pour s’approcher du coming-of-age. Bien loin d’être un patchwork aléatoire et mal proportionné, cette adaptation a su prendre à bras-le-corps l’un des écrits les plus complexes et en même temps les plus courts de King pour en tirer toute sa puissance. Réflexions sur la mort (« Le plus dur c’est l’attente, pas la fin », se répètent les Californiens depuis leur terre à la dérive), sur l’origine de nos désirs (pourquoi cet homme s’arrête-t-il pour danser sur ce solo de batterie ?) ou sur l’importance de la transmission – tous ces sujets vus maintes fois au cinéma trouvent ici une caisse de résonance particulière. Pour cause, le film ne vise pas l’intellectualisation par des dialogues à rallonge, mais la simple émotion, en une image (n’est-ce pas là le propre du cinéma ?).

Mike Flanagan n’a pas pour ambition démesurée de surinterpréter le livre de King, ou comme objectif simpliste de « le donner à voir » – il le fait vivre. S’il ne se prive pas d’une petite voix off et d’une esthétique lisse et soignée, qui caractérise d’ailleurs l’ensemble de son œuvre, le réalisateur a l’intelligence de laisser de l’espace à ses acteurs et ses actrices. Tom Hiddleston irradie dans cette longue scène de danse (bien que de ce côté-là il n’ait plus grand-chose à prouver depuis sa performance dans A Much Ado About Nothing de Jamie Lloyd). Mark Hamill brille par la sensibilité qu’il insuffle dans ses dialogues et Karen Gillan (déjà sidérante dans la série Douglas Is Cancelled) porte le premier acte avec force tandis que deux révélations (les jeunes Benjamin Pajak et Trinity Jo-Li Bliss) animent le dernier tout en délicatesse. Avec brio, le réalisateur arrive à faire exister et à caractériser la vingtaine de personnes qui traversent la vie de Chuck, même si leurs apparitions se résument à quelques minutes – respectant ainsi l’écriture de King qui parvient à dessiner les contours de ses personnages, notamment féminins, en seulement quelques mots.

© Neon

De Sue de Carrie à Miss Rohrbacher de The Life of Chuck

Les femmes animent toute l’œuvre littéraire de King, et plusieurs de ses grands succès en portent le nom. À commencer par Carrie bien sûr, mais aussi Charlie ou Jessie. Sauf que derrière les héroïnes aux pouvoirs surnaturels se cachent une multitude de personnages féminins secondaires, plus touchants et originaux que celles qui leur font de l’ombre. En seulement quelques lignes glissées, Stephen King parvient à brosser des portraits fins en détournant les personnages des clichés qu’on leur avait premièrement assignés. Prenons Sue par exemple, l’archétype de la peste du lycée qui se moque de Carrie dès les premières pages. On la redécouvre plus tard, peu sûre d’elle, victime de la pression d’être populaire, d’un copain plus âgé avec lequel elle a une relation ambiguë, et surtout, comme une jeune fille qui remet ses actes en question jusqu’à vouloir aider Carrie à s’intégrer dans son établissement scolaire.

Si, dans The Life of Chuck, le personnage principal est masculin, il est entouré de femmes – ce qui est d’autant plus vrai dans le film qui féminise certains rôles. Chacune d’entre elles, même si elle n'apparaît que quelques instants, a des caractéristiques marquées, lui donnant immédiatement une profondeur, à l’opposé des personnages féminins secondaires pot de fleurs dont le cinéma est bien pourvu. Toutes les situations qui visent à les introduire finissent par être renversées et par surprendre. Janice Halliday (Analise Basso), la jeune femme qui vient de se faire larguer, se retrouve au centre du passage le plus euphorique du film (la toujours aussi magistrale scène de danse). Miss Rohrbacher, la professeure de danse, a bien plus des airs drolatiques d’entraîneur de foot que la délicatesse et la rigueur d’une étoile, et la grand-mère de Chuck avec ses airs de mamie gâteau se révèle être une grande amatrice de rock. Toutes les interactions qu’elles ont avec le personnage principal sont animées par des dialogues fins, parfois drôles, sans jamais être pompeux malgré la portée philosophique des sujets qu’ils abordent (l’amour, le rapport à la mort). Ces ingrédients font de The Life of Chuck un objet singulier, aussi étrange que beau – qu’on vous interdit de spoiler ou de pitcher maladroitement à vos amis. Dites-leur simplement que grâce à la caméra de Mike Flanagan, la fin du monde n’aura jamais été aussi joyeuse.

ENORA ABRY

The Life of Chuck

Réalisé par Mike Flanagan

Avec Tom Hiddleston, Mark Hamill, Chiwetel Ejiofor

La vie extraordinaire d’un homme ordinaire racontée en trois chapitres. Merci Chuck !

En salles le 11 juin 2025.

Précédent
Précédent

SISTER MIDNIGHT – Karan Kandhari

Suivant
Suivant

BALLERINA – Len Wiseman