SISTER MIDNIGHT – Karan Kandhari
Copyright Capricci Films
Take a Walk on the Dark Side
Errance féminine dans la ville gigantesque de Mumbai, Sister Midnight mélange les genres mais perd le fil de son récit émancipateur dans une narration plus visuellement stylisée que minutieusement écrite.
Uma, une campagnarde, débarque à Mumbai, fraîchement mariée à Gopal. Mariage arrangé par leurs familles respectives. Ces deux marginaux, qui furent brièvement amis d’enfance et devenaient des poids pour leur entourage, vont ainsi devoir cohabiter au sein d’un foyer commun au cœur de la ville la plus densément peuplée d’Inde. Le penaud Gopal retourne à son quotidien de travailleur. Uma, elle, découvre la solitude et le déracinement dans une ville tentaculaire et déroutante où elle peine à trouver ses marques, malgré un voisinage construit comme un village où vont bon train ragots et rumeurs.
Forte tête, elle ne répond à aucun des critères attendus d’une « bonne épouse », elle ne sait ni tenir le foyer ni s’occuper de son époux et semble prise dans une léthargie dépressive. Peu à peu, elle s’enfonce dans la nuit et opère une métamorphose empruntant à la figure du vampire. Portée par la formidable Radhika Apte, qui manie l’injure comme personne et explore tous les ressorts du comique physique, Uma est guidée par une forte liberté intérieure qui lui permet une émancipation pour le moins mouvementée parfois très drôle. Elle passe ainsi de marginale lunaire à sorcière dangereuse traquée par tous ses voisins.
Malgré le potentiel incroyable de son actrice principale, Sister Midnight, qui ouvrait plein de promesses, ne parvient pas à dépasser sa bizarrerie curieuse. Emprunt au musicien rock Iggy Pop, sonnant comme un titre de blaxploitation, convoquant presque l’aura gémellaire de la vampire voilée skateuse et fan de rock d’Ana Lily Amirpour dans A Girl Walks Home Alone at Night, le film s’émousse contre les bordures qu’il a lui même créées. Enfermé dans son formalisme, régi par une grammaire pénible d’un montage de vignettes entrecoupées de fondus au noir, il s’enlise. Long-métrage très stylisé avec son utilisation de couleurs franches, ses plans panoramiques dynamiques et son travail sur la stop motion, il ne peut échapper à la comparaison avec le cinéma du Texan Wes Anderson période La Vie aquatique. Le plasticien et réalisateur Karan Kandhari semble avoir une cinéphilie similaire à celle d’Anderson, tous deux faisant de leurs grammaires visuelles respectives des sœurs jumelles jusque dans l’étrangeté de leurs protagonistes, collection de marginaux emplis d’un spleen inexplicable. Si Kandhari ouvre de nombreuses possibilités thématiques, dont l’émancipation féminine dans un système patriarcal est la pierre angulaire, il n’arrive cependant pas à concrétiser l’essai et se perd au milieu de ses trop grandes possibilités et ses ambitions picturales.
LISA DURAND
Sister Midnight
Réalisé par Karan Kandhari
Avec Radhika Apte, Ashok Pathak, Chhaya Kadam
Inde, Grande-Bretagne, 2023
Uma débarque à Mumbai après un mariage arrangé. Dans son taudis, elle découvre la réalité de la vie conjugale avec un mari lâche et égoïste. Refusant de céder à l’enfer de son couple, Uma laisse libre cours à ses pulsions et, la nuit venue, se transforme en une figure monstrueuse et inquiétante…
En salles le 11 juin 2025.