LA CHAMBRE D’À CÔTÉ – Pedro Almodóvar
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Pourquoi la mort te fait peur
Pour son premier long-métrage aux États-Unis, le maître du mélodrame continue de s’interroger sur la fin de vie après Douleur et Gloire, mais étonne par son style austère et froid.
Après deux incursions hollywoodiennes avec ses moyens-métrages La Voix humaine (2020) et Strange Way of Life (2023), Pedro Almodóvar a acté à 75 ans sa transition vers le cinéma nord-américain avec La Chambre d’à côté, son premier long-métrage tourné en anglophone. Adapté du roman What Are you Going Through de Sigrid Nunez, et lauréat du Lion d’or à la dernière Mostra de Venise, La Chambre d’à côté s’ancre dans la continuité de Douleur et Gloire en annonçant une ère crépusculaire du cinéaste, où l’obsession de la mort qui arrive se superpose à son amour légendaire pour les ramifications des souvenirs.
En alter ego new-yorkais du cinéaste, c’est l’actrice Julianne Moore qui incarne Ingrid, une romancière qui dédicace son dernier livre porté sur sa peur de la mort. Lorsqu’elle apprend que son amie Martha (Tilda Swinton) est atteinte d’un cancer en phase terminale, elle lui rend visite à plusieurs reprises : l’occasion pour Martha de revenir sur son passé de reporter de guerre, et sur sa relation rompue avec sa fille. D’abord structuré en flash-backs, le film bascule lorsque Martha demande à Ingrid de l’assister dans son suicide, dans une maison isolée au sein d’une réserve naturelle. Elle a tout organisé mais ne veut pas mourir seule, et souhaite que son amie l’accompagne simplement en logeant dans « la chambre d’à côté ».
La froideur finit par l’emporter
Après le rassemblement hasardeux des souvenirs, c’est donc la mort qui est attendue à chaque recoin du film : le code convenu entre les deux amies est une simple porte, celle de la chambre de Martha, qui sera fermée le jour où elle aura décidé de se donner la mort. En attendant, elles se promènent, se parlent, se souviennent. À cela, le duo de Julianne Moore et Tilda Swinton excelle, dans l’investissement de ce temps en suspens. En maître de la magnificence et du mélodrame, Almodóvar articule à merveille la dynamique de ses deux actrices, où la froideur androgyne de Tilda Swinton répond au chagrin de Julianne Moore, plus proche du registre dramatique habituel au réalisateur.
Pour autant, on regrette que l’austérité désirée par le réalisateur se convertisse en un vernis glacial. Car La Chambre d’à côté finit par se parer des mêmes atours que New York où elle se situe : trop chic, trop aseptisée, trop sophistiquée. Almodóvar dessine un espace liminal où la vie et la mort sont suspendues, où tout n’est que retenue et silence, mais où la froideur finit par l’emporter sur le déchirement du deuil et la chaleur des vieilles amitiés. Reste tout de même ce sentiment d’étrangeté propre au réalisateur, qui se conjugue dans des tonalités crépusculaires – et pessimistes – de plus en plus soutenues.
MARIANA AGIER
La chambre d’à côté
Réalisé par Pedro Almodóvar
Avec Julianne Moore, Tilda Swinton, John Turturro
Espagne, États-Unis, 2024
Ingrid et Martha, amies de longue date, ont débuté leur carrière au sein du même magazine. Lorsqu’Ingrid devient romancière à succès et Martha, reporter de guerre, leurs chemins se séparent. Mais des années plus tard, leurs routes se recroisent dans des circonstances troublantes…
En salles le 8 janvier 2025.