ROMERíA - Carla Simón
© Quim Vives/Elastica Films
Une affaire de famille
Après Nos Soleils et Été 93, Carla Simón a fait son entrée en compétition à Cannes avec son troisième long-métrage. Avec le magnifique Romería, malheureusement reparti bredouille du Festival, la réalisatrice espagnole continue l’exploration sensible de son histoire intime et familiale.
Seuls les festivaliers ayant enchaîné les deux films auront sans doute remarqué que Romería et Alpha, tous deux présentés en compétition à Cannes, ont en commun de nombreux thèmes. Dans les deux films, il est question d’addiction, de sida, de famille, de fantômes du passé, mais sous un angle complètement opposé. Si Julia Ducournau chérit une mise en scène que l’on sait gore et parfois tape-à-l’œil, Carla Simón opte pour un récit pudique et à fleur de peau, peut-être parce qu’elle raconte sa propre histoire et tout ce qu’elle comporte de traumatique et d'elliptique.
Jeune fille âgée de 18 ans, Marina a besoin du certificat de décès de son père pour demander une bourse à l’université, où elle s’apprête à rentrer. Pour cela, elle part à la rencontre de sa famille paternelle, qu’elle n’a jamais rencontrée, le temps d’un été. En voyage sur les terres galiciennes où vivent ses grands-parents et où a vécu le couple de ses parents vingt ans auparavant, elle reconstitue le puzzle de son histoire. Au sein de cette famille bourgeoise emmurée dans le non-dit, Marina rencontre une famille nombreuse, joyeuse et hypocrite. Entre bonne humeur et remarques glaçantes, la jeune fille se trouve confrontée à la violence de la famille de son père disparu, de ses tantes névrosées à ses oncles qui se contredisent, en passant par ses grands-parents peu loquaces.
© Quim Vives/Elastica Films
Se déroulant sur les îles Cies, le film entremêle deux voix, celle de la jeune fille dialoguant avec celle de sa mère, à travers la lecture de son journal intime. Deux récits, deux époques, celle des années 1980 et celle des années 2000, mais un lieu unique, la Galice, plaque tournante du trafic de drogue dans les années 1980 et lieu décimé par les overdoses et morts du sida. La force du film réside dans la mise en scène tout en retenue de Carla Simón, qui prend de l’ampleur au fur et à mesure que le film avance, dans une émotion allant crescendo. Rien n’est souligné ni appuyé, aucune explication ne vient alourdir le récit, et le spectateur fait la découverte en même temps que son héroïne de l’histoire tragique qui l’habite. Dans une des plus belles scènes du film, la réalisatrice redonne vie au couple de ses parents, joués par les mêmes comédiens qui incarnent la jeune Marina et son cousin Nuno. Entre bains de mer et soirées de défonce, l’image teintée d’un voile nostalgique nous embarque dans un rêve éveillé, puissant geste onirique qui vient combler un manque d’images, comme un acte de survie de la part de la réalisatrice qui se permet, pour la première fois, de s’écarter du naturalisme propre à ses précédents films.
Huit ans après Été 93, dans lequel une petite fille prénommée Frida s’installait avec son oncle et sa tante à la suite du décès de sa mère, Carla Simón reprend le récit de sa vie avec Romería. Comme un alter ego, Marina porte l’histoire de la réalisatrice, qui a perdu son père à 3 ans et sa mère à 6 ans. Confrontée au tabou lié à l’héroïne et au sida, au silence des générations précédentes, la réalisatrice s’est trouvée dans l’impossibilité de reconstituer l’histoire de ses parents. Car la Movida, élan de liberté et de remise en cause des valeurs traditionnelles d’une société profondément catholique portée par la jeunesse des années 1980, a aussi été accompagnée de son lot de drames, overdoses et morts prématurées. Face à ces nombreux obstacles, Carla Simón s’est emparée du médium cinématographique pour réécrire son histoire. « Le cinéma m’a donné la possibilité d’inventer mon propre récit et de vivre en paix avec mon histoire. » De cette impossibilité de reconstituer le réel, de ce puzzle incomplet de la mémoire, Carla Simón nous emporte, par sa sensibilité et sa poésie, dans une quête à la découverte de ses origines.
ESTHER BREJON
Romería
Réalisé par Carla Simón
Avec Llúcia Garcia, Mitch, Tristán Ulloa
Ce film est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2025
Afin d’obtenir un document d’état civil pour ses études supérieures, Marina, adoptée depuis l’enfance, doit renouer avec une partie de sa véritable famille. Guidée par le journal intime de sa mère qui ne l’a jamais quittée, elle se rend sur la côte atlantique et rencontre tout un pan de sa famille paternelle qu’elle ne connait pas. L’arrivée de Marina va faire ressurgir le passé. En ravivant le souvenir de ses parents, elle va découvrir les secrets de cette famille, les non-dits et les hontes…
En salles prochainement.