RENCONTRE AVEC MAR COLL - « La maternité est une crise identitaire brutale »
© Léon Cattan
En salles le 20 août 2025, Salve Maria est un drame psychologique aux accents hitchcockiens sur le post-partum. Avec ce film, son troisième, la réalisatrice Mar Coll explore le domaine du film de genre en puisant dans sa propre expérience de mère et celle des autres. Interview.
Contrairement à vos précédents films, Salve Maria est une adaptation, celle du livre Pas les mères de Katixa Agirre. Pourquoi cette envie soudaine de littérature ?
Pas les mères parle d’une écrivaine qui met son enfant à la crèche pour pouvoir écrire un livre. Je l’ai littéralement lu quand je venais de mettre mon fils en crèche, sur la recommandation d’une amie. Cette lecture m’a fait vibrer, j’en parlais tous les jours à Valentina Viso, ma scénariste, et comme j’avais enfin plus de temps, nous commencions à penser à l’après. La maternité était un sujet qui nous intéressait, car mettre une vie au monde est à la fois une expérience magique, étonnante, mais aussi effrayante et frustrante. C’est une crise identitaire brutale. Valentina et moi nous sentions défiées en tant que cinéastes.
Néanmoins, vous avez décidé de vous écarter un peu de l’intrigue pour y mettre de vous-même.
Moi et Valentina ! C’est ma meilleure amie depuis la sixième, et nous avons toujours écrit ensemble. Alors que je venais d’avoir mon fils, elle était déjà mère de deux petites filles. Partir de notre seule expérience ne nous semblait pas si intéressant.
Un film part toujours d’une émotion, et mon moteur, c’est de la partager dans toute sa complexité. Je définirais celle que nous avons insufflée dans l’adaptation comme radicale et abyssale. Même s’il s’agit d’une pure fiction, je pense que notre style est identifiable dans Salve Maria : les personnages sont bourrés de défauts, pas héroïques, mais ne sont pas jugés, et les femmes, surtout, sont mal à l’aise et problématiques. À travers elles, nous questionnons les institutions comme la famille et la maternité. Et nous parlons aussi de nos peurs. Une scène du film a été inspirée par la crainte irrationnelle de Valentina qu’un corbeau entre chez elle et crève les yeux de son bébé (rires).
Pourquoi ce titre aux accents bibliques ?
On a commencé par conserver le titre du livre, mais je ne l’aimais pas trop. En espagnol, c’est Las madres no, « Les mères ne… » C’est seulement la moitié d’une phrase, les mères « ne font pas » quoi ? (rires) C’est devenu Salve Maria deux semaines avant la première au festival de Locarno. Je me suis rendu compte que sans le vouloir, Valentina et moi avons imité le parcours traditionnel de la gestion de la culpabilité de la culture catholique dans le film. Je ne suis pas croyante, mais j’ai grandi dans le bain culturel du catholicisme, cela fait partie de moi.
Quand on regarde Salve Maria, on ne sait pas si on va basculer dans l’horreur ou le thriller. C’est un choix volontaire de votre part, sublimé par une mise en scène très léchée qui regorge de symboles.
Je me suis demandé comment « esthétiser » un sujet aussi sordide, et j’ai trouvé que les codes du film de genre justifient ces choix artistiques. Je voulais que Salve Maria soit un bel objet, qu’il y ait une plasticité allant avec la proposition narrative. Le chapitrage était déjà dans le scénario, mais il m’a posé question. Finalement, je trouve qu’il a apporté au rythme, nous a permis de jouer avec le son, les pauses… En plus de fournir un apport intellectuel qui fonctionne bien avec Maria, qui est écrivaine. Ce n’est pas qu’une mère, c’est une femme qui a lu, réfléchi, écrit… En fait, tout autre type de mise en scène m’aurait donné l’impression de faire du voyeurisme ou du sensationnalisme. Un film très « dur » ne correspondrait pas à ma manière de voir le monde.
Même si plein d’images rappellent Hitchcock et Polanski (qui exercent une influence chez moi), Salve Maria est un faux thriller, car son histoire reste dans la normalité, l’universel. Dans le même genre, j’aime aussi beaucoup The Lost Daughter de Maggie Gyllenhaal, qui a quelque chose de « dérangeant » dans son ton alors qu’il raconte une histoire assez banale.
© Dulac Distribution
C’est le premier rôle de Laura Weissmahr au cinéma. Il lui a valu le prix Goya du meilleur espoir féminin et le prix Gaudi 2025. Qu’est-ce qui vous a plu chez elle ?
Je l’ai vue jouer dans la pièce de théâtre d’un ami, et j’ai adoré ce qu’elle dégageait : une fragilité, du mystère, un côté irrationnel et « bizarre ». C’est une comédienne très charismatique, dont l’aura se marie bien avec la vibe film de genre. Au début, nous imaginions une héroïne plus âgée et sûre d’elle, un peu plus masculine, jouée par une actrice confirmée. On a dû batailler avec le producteur, mais on a fini par reconfigurer le rôle autour de Laura.
Elle n’a pas d’enfant, ce qui rendait les choses encore plus intéressantes ; c’était la première fois qu’elle tenait un bébé, et elle a rencontré des difficultés pour le manipuler, elle éprouvait des insécurités et m’a demandé si cela n’altérait pas la vraisemblance de son personnage. Je lui ai dit qu’au contraire, c’était parfait ! Quand on devient mère, on ne sait pas automatiquement comment s’occuper d’un bébé, on est la même personne deux jours avant l’accouchement et deux jours après.
Est-ce que la société est prête à entendre parler du post-partum au cinéma, selon vous ?
Oui, je pense qu’il y a 15 ans, faire un film comme Salve Maria aurait été difficile, trop… choquant. Il fallait d’abord parler des mères pas toujours contentes pour aboutir à celles qui ne le sont jamais ! (rires) J’ai dû, moi aussi, apprendre à déconstruire le regard que je portais sur elles. Je me souviens que quand j’ai découvert le sujet, il y a près de 20 ans, j’étais bouleversée, je me disais « Mais son pauvre enfant ! » Parce que cela va contre quelque chose qu’on a tellement intériorisé, le mythe de l’instinct maternel… Certains continuent d’y croire, d’ailleurs. Pendant une projection, une femme nous a dit : « J’ai deux enfants et quatre petits-enfants, et je peux vous garantir que l’instinct maternel n’existe pas » ! Et il y avait des hommes choqués dans la salle (rires).
Ces récits ont toujours existé, même en périphérie, avec les journaux de Sylvia Plath par exemple, que Valentina et moi avons lus. Même si l’égalité n’est pas encore atteinte, il y a de plus en plus de réalisatrices en Espagne, et je pense qu’elles continueront d’écrire et de visibiliser des histoires qui parlent d’elles et de ce qu’elles traversent.
Propos recueillis par Léon Cattan
Salve Maria
Réalisé par Mar Coll
Avec Laura Weissmahr, Oriol Pla, Giannina Fruttero
María, une jeune écrivaine qui vient de devenir mère, se passionne pour un fait divers perpétré non loin de chez elle. Obsédée par celle qui a commis l'irréparable, elle cherche à comprendre son geste. L’écriture devient alors son seul moyen d’appréhender l'expérience de sa propre maternité, tandis que l'ombre de cet événement tragique plane sur elle, comme une possibilité vertigineuse.
En salles le 20 août 2025.