PETIT ÉLOGE DES ANTI-HÉROÏNES DE SÉRIES – Anaïs Bordages et Marie Telling

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Revendiquons le droit à l’imperfection

Bree Van De Kamp, Cersei Lannister, Skyler White...ces personnages que nous avons adoré haïr retrouvent leurs lettres de noblesse dans cet ouvrage écrit par les deux créatrices du podcast AMIES. Sans les ériger au rang de modèle, les deux autrices montrent comment ces « imparfaites » ont permis à toute une génération de jeunes femmes de s’autoriser à exister en dehors des clichés habituellement véhiculés par le petit écran.

« Être parfaite, c’est surfait. » C’est avec ces mots que les deux autrices (également journalistes) ouvrent leur Petit éloge des anti-héroïnes de séries, dans une version augmentée depuis sa première parution en 2022 aux éditions Les Pérégrines. Qu’on ne s’y trompe pas : derrière ce slogan assez catchy pour être imprimé sur un T-shirt se cache une idée plus subversive et éminemment féministe. Revendiquer le droit à l’imperfection au féminin dans la fiction (comme ailleurs) n’a rien d’anodin. Là où l’imperfection masculine a toute sa place sur le petit écran jusqu’à devenir une sorte de norme qui ne choque personne (nous pardonnons volontiers les meurtres de Tommy Shelby des Peaky Blinders et de Walter White de Breaking Bad), les anti-héroïnes ne jouissent pas de la même complaisance et ce, pour des forfaits souvent moins condamnables. On pense assez rapidement à Skyler White (Breaking Bad) qui continue encore et toujours à être lynchée dans des vidéos sur les réseaux sociaux, à l’instar de Betty Draper (Mad Men) ou de Lois Wilkerson (Malcolm). Pourtant, la génération Z (et Alpha certainement) leur doit beaucoup…

Grâce à une écriture aussi ciselée que drôle, les deux autrices rendent hommage à ces personnages féminins mal aimés, en expliquant que chacune de leurs tares présentées à l’écran leur a permis de surpasser (en partie) les injonctions à la perfection véhiculés par les normes sociétales et fictionnelles. Elles passent en revue les superficielles, les coincées, les traînées, les mères indignes et les hystériques (des catégories volontairement empruntées à un vocabulaire misogyne) à l’aide de figures bien connues de la pop culture, comme Gabrielle Solis de Desperate Housewives ou Rebecca Bunch de Crazy Ex-Girlfriend. Si elles ne les excusent pas toujours (ou pas totalement), les journalistes montrent que la plupart du temps, ces femmes étiquetées comme « mauvaises » le sont en réaction à des personnages masculins toxiques ou irresponsables (ce qui est rarement pris en compte), ou bien simplement car elles refusent d’accepter les injonctions liées à leur genre. Chacun de leurs actes ne serait donc pas considéré comme répréhensible par nature, mais parce qu’il constitue (avant tout) un crime envers leur féminité.

On pourrait reprocher à ce Petit éloge d’avoir un effet un peu catalogue au vu du nombre d’exemples développés (une bonne cinquantaine). Toutefois, l’éclairage historique, social ou encore économique (sur les financements des séries par exemple) permet un regard plus approfondi sur la construction et l’enracinement des clichés mis au jour. Anaïs Bordages et Marie Telling apportent donc leur pierre à l’édifice de cette nouvelle analyse de la pop culture.

Pour prolonger la réflexion, nous ne saurions trop vous recommander de coupler cette lecture avec Sex and the series : sexualités féminines, une révolution télévisuelle d’Iris Brey (2016), ou encore Buffy ou la Révolte à coups de pieu de Marion Olité (2023) pour une analyse féministe de notre chasseuse de vampires préférée.

ENORA ABRY

Petit éloge des anti-héroïnes de séries

par Anaïs Bordages et Marie Telling

Editions Les Pérégrines

Hystériques, superficielles, traînées, coincées, carriéristes... Généralement réduites à des clichés misogynes, les anti- héroïnes passent souvent sous les radars de la critique, quand elles ne suscitent pas le rejet pur et simple des téléspectateurs.

Pourtant, ces personnages parfois difficiles à aimer brisent les codes de la féminité et contribuent à élargir les normes très restrictives de la représentation des femmes à l’écran, permettant un processus d’identification puissant pour toutes celles qui ne se retrouvent pas dans les standards traditionnels.

De la peste Cordelia (Buffy contre les vampires) aux mères indignes Livia Soprano (Les Soprano) et Cersei Lannister (Game of Thrones), en passant par la castratrice Skyler White (Breaking Bad), la revêche Chloé (Hippocrate) ou l’insupportable Hannah Horvath (Girls), ce Petit éloge propose un panorama original des femmes les plus subversives du petit écran.

En librairie.

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