MIKADO – Baya Kasmi
© Marine Danaux / Tandem
Compte tes blessures
Dans son troisième long-métrage, la réalisatrice de Youssef Salem a du succès imagine l’improbable rencontre d’un couple de marginaux avec un prof père célibataire. Et célèbre, avec une émotion douce et une mise en scène lumineuse, les écorchés qui ne se remettent jamais de leurs traumas.
S’il fallait choisir l’une des qualités du cinéma de Baya Kasmi, il aurait été possible d’opter pour le ton de son écriture, toujours sur un point de bascule entre le drame et la comédie, capable de passer de la farce à l’horreur la plus noire en un clin d’œil. Mais ce qui frappe le plus, en voyant Mikado, troisième film de celle qui s’illustre aussi en tant que scénariste, notamment pour son compagnon Michel Leclerc (elle a travaillé avec lui sur Le Nom des gens, La Vie très privée de Monsieur Sim, La Lutte des classes, Les Goûts et les Couleurs et, bientôt en salles, Le Mélange des genres), c’est son amour immense pour les comédiens et comédiennes. Il suffit pour s’en convaincre d’observer sa façon de filmer le visage de Félix Moati, qui incarne ici le personnage éponyme du film, père espiègle de deux enfants et compagnon aimant de Laetitia (Vimala Pons). En jetant sur les routes ce personnage marginal, mal aimable, écorché vif, Baya Kasmi en capte toute l’ombre et la lumière. Dans le creux des rides de son acteur, dans le frémissement de ses lèvres, la cinéaste niche autant de souffrance que de résilience. Il faut bien du talent pour extraire autant d’un simple visage.
Mikado, on le comprend très vite, vit dans l’illégalité la plus totale. Avec Laetitia, ils n’ont pas déclaré leurs enfants, qui ne sont pas non plus scolarisés. Une convocation au tribunal de Marseille plane comme une épée de Damoclès au-dessus du van dans lequel vit la petite famille. Et lorsque le véhicule les lâche, les voici qui se réfugient dans le jardin de Vincent (Ramzy Bedia), professeur de français veuf, esseulé et essoré par ses efforts (vains) pour maintenir un lien avec sa fille adolescente. Cette improbable rencontre agit comme un révélateur de chacun à soi-même et pour les autres. La vie sédentaire paraît soudain enviable à des enfants trimballés depuis toujours sur les routes, l’école leur tend les bras. Du côté de Vincent, on se surprend à envier l’amour et la joie qui éclatent régulièrement près du van garé sous ses fenêtres.
Ce sont toutes ces mille nuances des relations interpersonnelles qui font le sel de Mikado. Et elles n’existent quasiment qu’à travers son casting si bien dirigé. En plus de Félix Moati, Baya Kasmi joue en terrain connu en reprenant Vimala Pons, dont elle captait déjà habilement le côté éthéré et décalé dans Je suis à vous tout de suite, et Ramzy Bedia, qui n’avait sûrement jamais été aussi beau que dans Youssef Salem a du succès. Ce trio arrive parfaitement à recréer les moindres tiraillements d’individus balayés par le malheur, oscillant entre l’envie de se laisser tomber et celle de prendre leur revanche. S’il est indéniablement moins drôle que ses films précédents, le quatrième long-métrage de Baya Kasmi lui permet en revanche de franchir un cap en matière de mise en scène. Il y a là tant de délicatesse dans la façon d’embrasser les lumières jaunies du sud-est de la France et d’organiser la circulation des personnages qu’on se surprend, nous aussi, à habiter ce film.
MARGAUX BARALON
Mikado
Réalisé par Baya Kasmi
Avec Félix Moati, Vimala Pons, Ramzy Bedia
France, 2025
Mikado et Laetitia vivent avec leurs enfants sur les routes. Une panne de moteur les amène à s’installer le temps d’un été chez Vincent, un enseignant qui vit seul avec sa fille. C’est le début d’une parenthèse enchantée qui pourrait aussi bouleverser l’équilibre de toute la famille alors que Nuage, leur fille aînée, se prend à rêver d’une vie normale.
En salles le 9 avril 2025.