LA COULEUR POURPRE - Blitz Bazawule
Copyright 2023 Warner Bros. Entertainment Inc.
La comédie musicale pour panser les blessures de l’histoire
Réadaptation du roman épistolaire d’Alice Walker et du livret de comédie musicale de Marsha Norman, La Couleur pourpre version 2024 met à l’honneur la multiplicité des existences afro-américaines mais perd sa cible dans un récit choral aux numéros sémillants mais à la réalisation lourde.
Celie et Nettie sont deux sœurs fusionnelles que la violence des hommes va séparer pendant plusieurs décennies. Situé dans la Géorgie sudiste du début du XXe siècle, La Couleur pourpre est l’un des grands romans américains contemporains mettant en valeur la condition des femmes afro-américaines et leur émancipation face au racisme et à la violence des hommes. Sorti en 1982, le roman épistolaire d’Alice Walker devient rapidement un best-seller, gagne le prix Pulitzer, et est adapté une première fois au cinéma en 1985 par Steven Spielberg. Le film devient le classique d’une génération et révèle au grand public la comédienne Whoopi Goldberg, inoubliable Celie. Il rend également célèbre Oprah Winfrey qui deviendra une magnat des médias et qui produit cette nouvelle version. Le puissant écho de La Couleur pourpre continue de résonner et Marsha Norman l’adapte en comédie musicale à Broadway en 2005, toujours avec Oprah Winfrey à la production.
La version de 2024 est une adaptation du livret de la comédie musicale de Norman et s’inspire du roman de Walker, mais c’est surtout un complément au long-métrage de 1985. Le film se donne pour mission de couvrir les angles morts que proposait la mouture de Spielberg. Son interprétation avait donné un film solide avec un sens habile du cadre, de la narration et de la direction d’acteur·ices, mais Spielberg n'était pas vraiment intéressé ou concerné par le récit des expériences afro-américaines qu’il filmait. Alice Walker disait : « J’ai conçu ce roman comme un ouvrage de médecine dans lequel les gens trouvent le moyen de se libérer de ce qui les fait souffrir et les opprime ». Le réalisateur et musicien ghanéen Blitz Bazawule, déjà passé derrière la caméra pour le concept album de Beyoncé, Black is King (2020), invente une galerie d’images manquantes dans l’histoire du cinéma. Il filme l'étendue de la richesse de la culture afro-américaine. Culture qui s’est fabriquée sur les vestiges de celle de leurs ancêtres capturés en Afrique pendant les traites négrières et réduits en esclavage dans les champs de coton et les plantations d’Amérique. Il référence tout un pan de la culture afro-américaine du début du XXe siècle. Imagerie trop peu traversée par le cinéma, surtout la période du Harlem Renaissance qui fut un mouvement de renouveau culturel de l’entre-deux-guerres et un tournant majeur pour la littérature noire-américaine. Il ajoute aux personnages prolétaires écrits par Walker une forme d’excellence noire héritée des élites du Harlem Renaissance et même des élites noires aristocratiques du Gilded Age (période de l'histoire des États-Unis, de prospérité,de reconstruction et de croissance économique, industrielle et démographique exponentielle qui suivit la fin de la guerre de Sécession). Bazawule veut panser les plaies encore ouvertes d'une nation toujours gangrenée par le racisme. Dans sa volonté de créer du beau et du joyeux, il lisse un peu trop les contours du matériau original et se cache presque derrière l’aura guillerette que projette le genre de la comédie musicale. Par peur de recréer du trauma et par manque de confiance dans le pouvoir de ses images, il contourne les points de tension et de violence de son film.
Copyright 2023 Warner Bros. Entertainment Inc.
Adapté de la structure de la comédie musicale, La Couleur pourpre souffre d’un montage de séquences plutôt inégal, voire assez disgracieux. La réalisation très virevoltante manque de finesse et appuie sur ses thématiques avec une certaine lourdeur. Les numéros musicaux sont exécutés avec beaucoup de rigueur et de virtuosité mais manquent d’homogénéité avec le reste du récit, lequel est dépourvu de précision narrative. Il a quand même le mérite de réhabiliter l’histoire d’amour lesbienne entre Celie et la chanteuse Shug Avery lors d’une douce et romantique séquence de numéro musical (What about love ?) filmée dans l’écrin d’une salle de cinéma. Relation qui avait été effacée de l’adaptation précédente. Il est sauvé par le dévouement de son casting impeccable qui insuffle une énergie spectaculaire au film et par sa connaissance géographique et structurelle assez pointue de la société noire-américaine des États du Sud. Il perd quand même l’essence de son propos et la distance entre les sœurs est seulement marquée par un effet sonore doté de battements cardiaques plutôt maladroit. Il cède à l’écriture chorale du film musical où tous les personnages ont voix au chapitre et bénéficient de leur numéro chanté et dansé. En voulant trop rendre hommage au prolétariat afro-américain du début du siècle dernier et à la culture afro-américaine, Blitz Bazawule perd de vue l’une des plus belles histoires d’amour de la littérature contemporaine, celle de deux sœurs meurtries par une société patriarcale et partageant le même cœur.
LISA DURAND
La Couleur pourpre
Réalisé par Blitz Bazawule
Écrit par Marcus Gardley
Avec Fantasia Barrino, Taraji P. Henson, Danielle Brooks…
États-Unis
Titre original : The Color Purple
Séparée de sa sœur Nettie et de ses enfants, Celie mène une vie difficile, subissant même les coups d’un mari violent, simplement désigné « Monsieur ». C’est grâce au soutien de la chanteuse Shug Avery, à la sensualité débordante, et à sa belle-fille Sofia, d’une volonté inébranlable, que Celie puise une force extraordinaire. Une solidarité féminine hors du commun dont les liens qu’elle tisse avec ses « sœurs » sont désormais indestructibles.
En salles le 24 janvier 2024.