BARBIE - Greta Gerwig

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Barbie au pays des merveilles

“Film féministe de l’année”. Cela fait des mois que cette phrase clignote en rose fluo sous nos yeux à chaque nouveau coup marketing de Warner Bros. Alors, après des mois d’attente entre excitation  et appréhension, à se demander ce qui pourrait bien résulter de ce projet, c’est dans notre plus belle tenue pailletée que nous nous sommes rendues en salles à la découverte de la Barbie de Greta Gerwig. Si le film tient ses promesses de fable satirique conceptuelle et girl power, la réalisatrice de Lady Bird n’échappe cependant pas au grand piège associé à Barbie depuis sa création : la valse des paradoxes.

On ne va pas vous refaire le dessin. 64 ans après sa naissance, tout a été dit, ou presque, sur la célèbre poupée blonde à la taille de guêpe. La révolution qu’elle apporta dans l’univers du jouet, les stéréotypes véhiculés sur plusieurs générations de petites filles occidentales et l’éventail inédit de représentations professionnelles inspirantes. Oui, Barbie n’est pas à un paradoxe près, et ça Greta Gerwig le sait, tout comme l’interprète de la sculpturale version stéréotypée de cette icône contemporaine Margot Robbie (qui coproduit aussi le film rappelons-le). Sans surprise, le film Barbie assume totalement de se construire sur ces oppositions matricielles. Le discours rôdé par des années de débats pro et anti-Barbie trouve heureusement intelligemment sa place. Alors que les poupées du pays imaginaire s'autocongratulent constamment des supposés bienfaits de leur création pour la société du “monde réel”, le retour de bâton est d’autant plus déconcertant pour la célèbre blonde quand elle découvre une fois sur place la violence ordinaire du patriarcat. La bonne idée étant d’adjoindre à cette découverte le point de vue de Ken, sexe faible là-bas, qui ingurgite comme un énorme shot de testostérone les pires aspects de l’histoire de la domination masculine, qu’il va évidemment rapporter dans ses bagages. 

À partir de cette intrigue, le scénario déroule frontalement son propos féministe avec une drôlerie et une joie euphorisante qui nous galvanise à la sortie de séance. Le point levé telle la fameuse Rosie la riveteuse, ce Barbie ne s’excuse jamais de son ambition à devenir le nouvel étendard du féminisme pop. Toutes les cases sont cochées : phrases inspirantes, éloge de la sororité, pluralité des corps, évocation de l’envers de la maternité, levée du tabou de la santé mentale. Cela pourrait presque paraître trop... Trop de thèmes abordés pour un  film qui finalement ne révolutionne pas grand-chose tant tout paraît un peu convenu quand on s’intéresse déjà à ces problématiques. Sauf que Barbie est un film grand public à plus de 100 millions de dollars qui va toucher une large audience et s’inscrire, on peut déjà le pressentir, durablement dans la pop culture. On aura beau dire que oui, il y a quelque chose de didactique dans cette démonstration, le fait est que jamais auparavant un blockbuster n’aura autant usé du terme “patriarcat”, ou cherché à déconstruire avec autant d’humour et d’intelligence les mécanismes de celui-ci, principalement à travers la manière dont le mâle va détraquer Barbieland. C’est peut-être un détail pour vous, mais ça veut dire beaucoup sur le potentiel impact d’un tel objet, aussi joyeux que militant.

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Un féminisme mercantiliste ?

Oui, impossible de ne pas s’enthousiasmer devant ce Barbie vs. le patriarcat. Sauf que voici venir le premier paradoxe du film. S’il serait injuste de parler d’un féminisme-washing, on ne doute pas du tout des bonnes intentions de Gerwig et Robbie, l’intelligence de l’écriture le prouve d’ailleurs, on peut par contre s’interroger sur l’instrumentalisation mercantiliste de ces valeurs. L’omniprésence narrative de la maison mère Mattel dépasse ainsi rapidement la citation méta rigolote pour devenir un des aspects les plus gênants du long-métrage. Pour une raison scénaristiquement assez incohérente, le conseil d’administration de l’entreprise, pléthore d’hommes en costume, mené tambour battant par Will Ferrel (décidément l’acteur favori des marques de jouets pour faire le lien entre le réel, l’imaginaire et la fiction après La Grande Aventure Lego), décide de venir passer une tête à Barbieland. Un petit séjour pour le plaisir finalement de citer un peu plus longtemps la marque, au cas où nous n’aurions pas compris, tant leur présence sur place est inconséquente. 

À l’origine du projet depuis le début, il ne faut pas oublier que Mattel cherche depuis une quinzaine d’années à investir Hollywood avec sa poupée aux œufs d’or et veille au grain sur chaque partie de la production. Si, comme déjà évoqué, les contradictions de l’impact sociohistorique de Barbie sont assumées par Gerwig, la mythologie de la marque est de son côté savamment distillée tout au long du film. Si il y a quelques jolis clins d'œil sur l’univers, la plupart des références sont pour le moins pompeuses, comme l’éloge final vantant l’éternité du concept de la Barbie, apparemment pensé dès le départ par sa créatrice. Tout un programme qui nous donnerait presque envie d’acheter une poupée, une des tenues collectors présentées en aparté dans le film ou n’importe quel autre goodie siglé “B” dispo chez Zara, car c’est là qu’est le cool. Sans aller jusqu’à parasiter totalement le film, on regrettera forcément ce cahier des charges “méta” un peu trop lourd et un peu trop voyant qui empêche le film d’aller plus loin dans sa folie en s’émancipant pleinement de ce que cherche à nous vendre Mattel. 

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Kenergie maximum !

Car rentrer dans la cité utopiste de Barbieland revient à traverser le miroir à la poursuite du lapin blanc de Lewis Carroll. D’un coup, le public se retrouve dans un monde merveilleux où toutes les femmes sont puissantes et alliées. Une glorification de l’empowerment féminin belle à voir, si ce n’est même émouvante, avec un casting qui prend un plaisir fou à jouer avec les codes Barbie, à commencer par les iconiques Issa Rae en Barbie Présidente et Kate McKinnon en Barbie Bizarre. Avec quelques limites néanmoins à cette énergie commune, avec par exemple la présence à l’écran très réduite de certaines figures d’inclusivité, comme cette Barbie en fauteuil qui n’apparaîtra hélas que le temps d’un plan au début du film… Au cœur de la bande, Margot Robbie s’amuse dans ce rôle sur mesure auquel elle ajoute une réelle profondeur psychologique, notamment dans le lien avec son alter ego du monde réel, une maman un peu au bout du rouleau jouée par America Ferrera (choix de casting intéressant, l’actrice s’étant fait connaître par un rôle stéréotypé aux antipodes de l’imagerie Barbie dans Ugly Betty, même si son personnage est finalement un peu sous-exploité). 

Sauf qu’à l'issue du film, vous aurez probablement envie de ne parler avec vos ami.es de séance d’aucune de ces femmes, en tout cas dans l’immédiat. Un seul nom vous viendra à la bouche : Ken.  Voilà notre paradoxe numéro deux. Dans une performance complètement dingo nous rappelant à quel point il est un acteur de comédie brillant, Ryan Gosling vole le film. Messie symbolique de la parole patriarcale, ce Ken caricature les hétéros s’accrochant à leurs privilèges virils. Les scènes comiques d’anthologie se succèdent, que ce soit dans ses combats de coq face aux autres Ken, ou sa découverte de la domination masculine dans le monde réel qu’il assimile dans une fixette métaphorique étrange à la puissance des chevaux, idée particulièrement bien exploitée visuellement par Greta Gerwig. Ken, et par prolongement symbolique le masculin cis hétéro, crée le chaos par l’absurdité de ses actions. Dans sa seconde partie, où Gosling s’impose définitivement dans nos cœurs, Barbie se transforme en satire de la construction de la virilité et la manière dont les femmes s'accommodent d’une situation de domination au détriment de leur émancipation personnelle, à coups de caricatures pertinentes. Très malin, même si au fond on ne peut s’empêcher de penser que, en fin de compte, on retiendra presque plus la représentation des hommes que des femmes, aussi enthousiasmante soit-elle d’ailleurs, dans un film Barbie où Ken ne fait définitivement plus partie des accessoires…

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À la recherche de Greta Gerwig

Et le cinéma dans tout ça ? Après Ladybird et Les Filles du Docteur March, Greta Gerwig s’est installée comme la fiancée branchée du cinéma indépendant auquel Hollywood a vite fait les yeux doux. Si la direction artistique du film est exceptionnelle, entre les gigantesques décors roses en carton-pâte, les accessoires loufoques et les costumes pastel, la caméra de la cinéaste, elle, semble ne pas vraiment savoir quoi faire de ce barnum. Et voici venir le paradoxe qui vient conclure notre tiercé : tout transpire cinéma à l’image, mais la mise en scène en elle-même reste irrémédiablement plate. Seules les scènes musicales mêlant multiples influences du genre, de Jacques Demy à Grease, se démarquent par leur créativité et leur énergie - citons d’ailleurs une certaine gémellité avec la série musicale  Crazy Ex-Girlfriend, autre production qui sous des abords girly évoque brillamment de nombreuses problématiques féministes. La personnalité de Gerwig s’efface derrière la marque Barbie, se révélant à peine dans certaines scènes intimes ou dans le monde réel, comme ce lycée aux adolescents tout de noir vêtus en opposition directe avec les couleurs pastel de l’enfance incarnées par Barbie. Un monde réel bien terne face à l’illusoire Barbieland, mais que Gerwig n’arrive jamais à transcender. Pire, nombreuses sont les petites maladresses (ou intervention de la production ?) venant parfois amoindrir la portée politique des messages, comme ce moment où un aparté en voix off semble obligé d’être ajouté pour rappeler que Margot Robbie est très belle alors que Barbie, dépressive, indique se trouver laide. Dommage, il aurait été bon de rappeler que même les plus belles ont des complexes… On espérait donc peut-être plus de la réalisatrice new-yorkaise, qui vient de signer pour une nouvelle exploration fantastique en passant de l’autre côté, non pas du miroir, mais de l’armoire magique avec une nouvelle adaptation des Chroniques de Narnia pour Netflix.

Au-delà de ce triptyque de paradoxes qui partage notre âme cinéphile et féministe en deux sur ce Barbie 2023 (dont le brouhaha marketing aura presque plus fait parler que le fond du projet), il reste un plaisir fou de partager collectivement un film qui parlera à toutes les femmes, ayant déjà tenu ou non une poupée Barbie entre les mains. Oui, un petit tour dans la sororité utopique de Barbieland, aussi paradoxale soit-elle, ça fait du bien ! 


ALICIA ARPAÏA

Barbie

Réalisé par Greta Gerwig

Écrit par Greta Gerwig, Noah Baumbach

Avec Margot Robbie, Ryan Gosling, America Ferrera

Etats-Unis, Grande-Bretagne, 2023

A Barbie Land, vous êtes un être parfait dans un monde parfait. Sauf si vous êtes en crise existentielle, ou si vous êtes Ken.

Sortie le 19 juillet.

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