JE SUIS TOUJOURS LÀ – Walter Salles

© StudioCanal

Portrait de veuve

Sans éviter l’écueil de la mère courage, Walter Salles fait une piqûre de rappel sur les fondements de la dictature militaire au Brésil, qui trouve ses limites dans un récit trop intimiste.

En 2018, l’élection au Brésil de Jair Bolsonaro, fervent nostalgique de la dictature militaire, ravive les questionnements sur la mémoire de cette période. D’abord censurés pendant les années de plomb, puis mis de côté face à l’urgence de la crise économique des années 1990, les récits des personnes torturées, disparues et réprimées n’ont pas été entendus – la faute à l’absence d’une vraie politique de mémoire nationale. C’est cette lacune immense que Walter Salles, figure de proue du cinéma brésilien à l’international avec Central do Brasil (1999) et Carnets de voyage (2003), tente de combler avec Je suis toujours là, son nouveau film après plus de dix ans d’absence.

Le projet naît en 2017, mais prend une tournure capitale dans les années qui suivent. Je suis toujours là retrace l’histoire vraie de la famille Paiva au début des années 1970, lorsque le père, Rubens, un ingénieur anciennement député, est enlevé par des hommes du régime et disparaît sans laisser de traces. Plutôt que de s’interroger sur les personnes disparues, Salles s’intéresse davantage à celles qui restent, en se focalisant sur la femme de Rubens, Eunice Paiva, qui se battra pendant des décennies pour faire reconnaître à l’État l’assassinat de son mari.

Je suis toujours là n’évite pas l’écueil d’une mère courage au rôle uniformément tragique – l’actrice Fernanda Torres, très populaire au Brésil, en a reçu le Golden Globe de la meilleure interprétation féminine et est pressentie pour rejoindre la course aux Oscars. Il faut dire que le cinéma de Walter Salles fait preuve d’un sentimentalisme et d’un sens du mélodrame assumés, qu’il distille dans Je suis toujours là par la fatalité qui pèse sur la joyeuse famille Paiva.

Paradoxalement, c’est cette focalisation sur une famille brisée par le régime militaire qui limite le propos politique du cinéaste. Je suis toujours là propose un récit qui tient la route sur le registre dramatique, mais rate de peu la dimension historique qu’il prétend apporter. Car sa tonalité intimiste et très bourgeoise, dans un pays où les fractures sociales ont toujours été immenses, réduit la portée universaliste du récit pour le transformer en un portrait de femme qui tient plus de la biographie. Il faut dire que l’ambition était grande, sans doute un peu trop : difficile donc de reprocher à Walter Salles d’avoir raté de peu son but.


MARIANA AGIER

Je suis toujours là

Réalisé par Walter Salles

Ecrit par Murilo Hauser, Heitor Lorega

Avec Fernanda Torres, Fernanda Montenegro, Selton Mello

Brésil, France, 2024

Rio, 1971, sous la dictature militaire. La grande maison des Paiva, près de la plage, est un havre de vie, de paroles partagées, de jeux, de rencontres. Jusqu’au jour où des hommes du régime viennent arrêter Rubens, le père de famille, qui disparait sans laisser de traces. Sa femme Eunice et ses cinq enfants mèneront alors un combat acharné pour la recherche de la vérité...

En salles le 15 janvier 2025.

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