SCRAPPER - Charlotte Regan

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Faire famille

En 2023 sortait Aftersun, premier long-métrage renversant de la britannique Charlotte Wells. En 2024, c’est au tour d’une autre réalisatrice britannique pleine de talent de nous proposer une variation – plus classique – autour du deuil et des difficultés des relations père-fille.

« It takes a village to raise a child. I can raise myself alone. Thank you. » (« Il faut un village pour élever un enfant. Je peux m’élever toute seule. Merci. ») C’est avec cette phrase introductive vieille comme le monde et annoncée avec fronde par sa jeune héroïne que la cinéaste Charlotte Regan nous plonge dans Scrapper, son premier long-métrage. Elle y suit, le temps des grandes vacances estivales, Georgie, sorte de Fifi Brindacier (héroïne de l’autrice Astrid Lindgren) anglaise, débrouillarde,vive et impertinente. Georgie la téméraire s’élève seule depuis la mort de sa mère et invente un oncle pour échapper aux services sociaux et au placement en famille d’accueil. Elle est aidée par son meilleur ami Ali (Alin Uzun) – leur relation fraternelle est une des réussites du film —, avec qui elle vole et revend les vélos du quartier. Cette vie d’équilibriste est perturbée par l’arrivée de Jason, géniteur de la jeune fille, dont elle ignorait l’existence.

Scrapper déroule une histoire aussi vieille que sa citation d’introduction. Celle de deux solitudes qui s’entrechoquent et s’apprivoisent. Le récit est d’un classicisme sobre et marche car Regan croit absolument en son film et en ses personnages. S’il fonctionne, d’ailleurs,  c’est parce que la relation entre Georgie et Jason est crédible et l’alchimie familiale entre Lola Campbell et Harris Dickinson est réelle. Campbell est la révélation du film, qu’elle porte sur ses jeunes épaules avec une sincérité désarmante et un caractère bien trempé – une très jeune héroïne comme en voudrait plus.

Comme sa camarade anglaise Charlotte Wells et son déchirant Aftersun dont on sent la filiation évidente – Charlotte Regan aborde la question du deuil et de ce que signifie grandir. Jason apprendra à devenir père et adulte, et Georgie, elle, retrouvera un semblant d’enfance et d’innocence. C’est le deuil d’une mère et d’une ancienne amante qui les mettra sur la voie de l’autre et les aidera à faire famille. En parallèle, Georgie se construit une sorte d’échelle en objets recyclés pour « monter au ciel » et rejoindre sa mère décédée. L’échelle est fabriquée dans la chambre de la défunte comme une forme d’expression visuelle de la difficulté du deuil, à échelle d’enfant.

This is England

Scrapper est un film très graphique au territoire géométrique. Sorte de petit cousin de The Florida Project, le film plante son décor dans un council estate (logements sociaux) de la banlieue de Londres. Les motels californiens prolétaires colorés du film de Sean Baker sont ici les grands ensembles ouvriers britanniques que Regan filme avec beaucoup de tendresse, et Molly Manning Walker (réalisatrice du remarqué How to have sex) donne au long-métrage une direction photographique très pop et contrastée. Cet aspect fantasque s’incarne aussi dans les choix de réalisation et de narration qui se déploient comme contés par une enfant. Ainsi, le récit est parsemé de séquences de diapositives super 8, tantôt à l’écriture presque documentaire avec des interviews des habitants du quartier, tantôt avec des séquences de pure fantaisie infantile. Ces diapositives imaginaires sont l’expression mentale intime de Georgie et nous donnent à voir de manière désordonnée son cheminement intérieur. 

L’utilisation de la caméra épaule tranche avec le choix sucré de la photographie et apporte au film une certaine urgence. Le film s’inscrit dans le courant filmique britannique du kitchen sink drama ou kitchen sink realism, théorisé dans les années 1950. Cinéma plus naturaliste, il s’oppose à un cinéma britannique dit de prestige et souvent adapté de pièces de théâtre surannées, et propose des visions plus réalistes des classes populaires et prolétaires du Royaume-Uni. Les oeuvres d’Andrea Arnold, Clio Barnard,Shane Meadows ou Ken Loach s’inscrivent dans cette mouvance. Regan est l’une des héritières de ce cinéma, mais elle fait également partie d’une new wave de jeunes réalisatrices britanniques à l’approche plus moderne. Elle explore avec beaucoup d’envie et de sincérité un territoire déjà beaucoup traversé par le cinéma et nous offre un coming of age vif et sémillant.



LISA DURAND

Scrapper

Réalisé par Charlotte Regan

Écrit par Charlotte Regan

Avec Harris Dickinson, Lola Campbell, Alin Uzun…

Royaume-Uni

Grand Prix du Jury au Festival de Sundance.

Banlieue de Londres. Géorgie 12 ans vit seule depuis la mort de sa mère. Elle se débrouille au quotidien pour éloigner les travailleurs sociaux, raconte qu’elle vit avec un oncle, gagne de l’argent en faisant un trafic de vélo avec son ami Ali. Cet équilibre fonctionne jusqu’à l’arrivée de Jason, un jeune homme qu’elle ne connait pas et se présente comme étant son père.

Sortie en salles en 10 janvier 2024.

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