RENCONTRE AVEC SEAN PRICE WILLIAMS ET TALIA RYDER - “Les USA, je les aime, mais ils me rendent fou”

Dans The Sweet East, une jeune femme déambule dans l’Est américain et s’adapte à ses rencontres incongrues. A l’occasion de la sortie du film dans les salles françaises, nous avons rencontré le réalisateur Sean Price Williams et l’actrice principale, Talia Ryder.

Sean, comment s’est déroulé le passage de la direction de la photographie à la réalisation ?

Sean Price Williams : Ce n’était pas très théâtral. Ma plus grosse charge concernait tous les trucs de préparation que font les réalisateurs, il y a beaucoup de questions et tout le monde a besoin de ton approbation. Mais j’ai eu une super équipe. C’était vertigineux pour moi, mais beaucoup de gens ont pris sur eux. Ils savaient déjà qu’ils avaient mon approbation sur tout. Je comprends maintenant pourquoi les réalisateurs peuvent être si épuisés avant même le premier jour de tournage. C’est la principale chose que j’ai apprise. 

Sur le plateau, comme j’avais établi une relation avec tout le monde, je n’ai pas ressenti de grosse différence, c’était quelque chose d’intuitif. Je savais déjà ce que nous devions faire. Je pouvais demander aux acteurs de répéter une réplique, je pouvais davantage interférer, et on obtenait ce qu’on voulait plus rapidement. C’était chouette, mais j’étais aussi entouré de personnes avec lesquelles j’étais à l’aise. Si j’avais été entouré de personnes me sollicitant plus, ou si j’avais eu des problèmes avec les acteurs, ça m’aurait davantage demandé d’implication en tant que réalisateur. Du coup, c’était du gâteau.

Comment avez-vous casté Talia ? 

SPW : Via la procédure classique, avec des agents et tout. Talia est venue en personne alors que beaucoup de gens faisaient les rencontres sur Zoom. Je ne pense pas qu’un bon film puisse se faire si vous n’avez pas rencontré les gens en personne et compris qui ils sont. J’ai beaucoup aimé sa voix et oui, c’était la première personne que je rencontrais, mais c’était la meilleure. 

Talia, vous avez démarré votre carrière à Broadway, puis vous êtes passée au cinéma. Comment s’est passé votre arrivée dans un film, dans les films ?

Talia Ryder : Je ne prévoyais pas de faire carrière dans le spectacle, j’ai vraiment eu beaucoup de chance. Après Matilda (comédie musicale), j’ai déménagé à New York, et le premier film dans lequel j’ai été castée a été West Side Story. Mon rôle était surtout de danser, c’était à l’origine une audition de danse. À l’époque, j’allais dans un lycée classique et je pratiquais la danse à côté ; parfois je ratais l’école pour une audition… Après le casting pour West Side Story, j’ai joué dans d’autres films, mais techniquement, West Side Story a été le premier film sur lequel j’ai été retenue.

SPW : Eliza Hittman [réalisatrice de Never Rarely Sometimes Always] a un très bon œil pour les nouveaux talents. En regardant ses films vous saurez qui est la prochaine star. 

Parlons de The Sweet East ! Il y a une approche particulière du road movie et des sous-cultures américaines. Quelle est votre relation avec les États-Unis ?

SPW : Nous sommes des citoyens de la working class américaine. 

TR : C’est comme dans le film, c’est compliqué parce que des choses m’énervent vraiment dans ce pays mais à part en rigoler, qu’est-ce qu’on peut faire ? 

SPW : Tu peux voter !

TR : Aussi, oui.

SPW : Tu peux rencontrer des gens, éventuellement discuter avec eux et comprendre où tu te positionnes, qui tu es, c’est la conversation qu’on a dans ce film… Ma relation avec les USA est que je les aime mais qu’en même temps ils me rendent fou. C’est la même chose avec New York, avec qui j’ai une relation amour-haine. Mais c’est ce qui conserve l’électricité. Vous avez besoin de négatif et de positif, on est plutôt bon pour ça en Amérique. Sinon je serais au Danemark. 

On est dans une société en mouvement, avec beaucoup de troubles et différentes opinions qui s’opposent. C’est un film sur notre ère, comment l’avez-vous anticipé dans votre travail ?

SPW : Nick Pinkerton a écrit le scénario il y a longtemps et il est toujours d’actualité six ans plus tard, sans apporter trop de changements. On est toujours dans la même période, l’anticipation viendra avec le temps. Nick est très malin, il a un humour caustique et en même temps tout est bien relié. Tout le monde est d’accord là-dessus. Il a aussi des ennemis mais c’est parce qu’il est tellement intelligent, les gens ne le supportent pas. 

Lillian est une très jolie fille, sa beauté fascine les gens autour d’elle. Talia, quelle est votre relation avec votre personnage ?

TR : Lilian est bien consciente de la façon dont elle peut être perçue… Je suis intéressée par la façon dont elle peut se tenir de différentes manières. Elle expérimente beaucoup son image, elle offre une nouvelle performance à chaque fois qu’elle fréquente une nouvelle personne. Être jeune et attirante peut t’offrir des portes et t’amener dans des aventures et je pense que tu dois en être curieuse. Et… Je ne sais pas, il y a deux côtés de la chose.

Est-ce que vous étiez effrayée par la fascination que les autres personnages ont pour elle ?

TR : C’était cool, ça m’a amusée parce qu’elle est toujours ouverte face à n’importe quelle situation, elle sait qu’elle est toujours maître de la situation, la plupart du temps c’est elle qui dirige. Le seul moment où elle doit s’échapper, c’est quand elle prend le rôle d’une actrice. Elle conserve toujours l’avantage, elle ne laisse pas vraiment les gens entrer, ils ne savent pas qui elle est vraiment... C’est plutôt cool.

Vous pensez que la fascination que Lawrence a pour Lillian est similaire à la fascination que le public peut avoir pour une actrice ?

TR : D’une certaine façon, oui.

SPW : Il y a de l’objectification .

C’est une sorte de fantasme, une fille parfaite, très pure pour ce personnage qui l’idéalise, comme avec une actrice.

TR : Oui, mais je ne trouve pas que ce soit spécifique au personnage de Simon [Rex]. Je pense que c’est la même chose pour toutes ses performances. Au début, avant qu’elle chante cette chanson et bascule dans tout ce qu’il se passe, je pense qu’elle est juste… comme ça. Elle doit prouver à son public que ce qu’elle voit dans son miroir est elle-même. Elle performe pour les autres mais surtout pour son propre bien-être, pour sa propre aventure. D’une certaine façon, elle joue toujours pour elle. 

SPW : Il y a une idée reçue selon laquelle les personnes jolies sont superficielles. mais je n’en connais aucune comme ça. C’est en réalité la façon dont les gens réagissent face à elle, avec une conception superficielle et peu profonde. Je me sens désolé pour les gens qui pensent qu’être joli.e, c’est forcément être décevant.e. Les personnes jolies que je connais sont des personnes très intéressantes, mais je me sens mal pour elles d’attirer cette réaction la plupart du temps. Dans mon prochain film, je vais vraiment explorer ça.

J’aime la façon dont Lillian est filmée, les situations sont particulières mais il n’y a pas de male gaze trop dérangeant. Comment avez-vous géré ça ?

SPW : Je n’ai pas de jugement sur mon propre travail comme caméraman, je ne pense pas qu’il soit particulièrement bon, j’ai un esprit surtout technique. Dans ce film, il y a de l’attirance pour Lilian, mais je ne pense pas que ce soit terrifiant. Enfin, ça devrait l’être, puisqu’on fixe quelqu’un avec une caméra, mais elle aime être observée et elle observe en retour. C’est quelque chose qui se fait à deux, elle n’est pas la seule à être regardée. C’est important au début quand elle se regarde dans le miroir. On voit qu’elle est complice.

Lillian est un personnage très actif.

TR : C’est marrant parce qu’après la première projection, des gens sont venus me demander ce que ça faisait de jouer un personnage si vaporeux et passif. Surtout à Los Angeles, c’étaient toujours des hommes qui venaient me voir pour dire ça. Je pense qu’elle fait ça pour elle-même, donc je dis aux gens de retourner dans la salle, revoir le film. Ils ont dû rater quelque chose.

The Sweet East

Réalisé par Sean Prince Williams

Écrit par Nick Pinkerton

Avec Talia Ryder, Earl Cave, Simon Rex, Ayo Edebiri, Jeremy O. Harris, Jacob Elordi, Rish Shah…

USA

Lillian, jeune lycéenne, fugue durant un voyage sco­laire. Au fil de ses ren­contres, elle découvre un monde insoup­çon­né. Les frac­tures men­tales, sociales et poli­tiques des États-Unis, fil­mées comme un conte de fée ou une varia­tion d’Alice au pays des merveilles.

En salles le 13 mars 2024.

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