RENCONTRE AVEC ADELINE D’HERMY ET VIOLETTE GUILLON – « Tauba voulait que son histoire ne soit pas oubliée »
© Vincent Tessier - Bonne Pioche Cinéma, Apollo Films Distribution, Federation Pictures - 2024
Dans La Vie devant moi, elles incarnent aux côtés de Guillaume Gallienne une famille juive obligée de se cacher pendant les rafles. Un récit puissant tiré d’une histoire vraie.
765. C’est le nombre de jours pendant lesquels les Zylbersztejn ont dû rester enfermés dans une petite pièce de 9m2 pour échapper aux rafles après celle du Vel d’Hiv. Pendant ces deux ans, pas question de sortir ou de faire du bruit. La vie de famille se cantonne aux regards et aux murmures. Inspiré de l’histoire de la fille de la famille, Tauba Zylbersztejn (qui a par ailleurs été racontée par son fils Guy Birenbaum dans un ouvrage éponyme paru en janvier dernier aux éditions Flammarion), La Vie devant moi évolue dans un cadre intimiste et représente avec finesse ce qu’a été le quotidien des Zylbersztejn, en évitant la surenchère de pathos. Rencontre avec les actrices du film, Adeline D’Hermy de la Comédie-Française et Violette Guillon.
Qu’est-ce qui vous a le plus plu à la lecture du scénario ?
ADH. Avant de lire le scénario, j’ai écouté l’interview de Tauba [une interview a en effet été réalisée dans le cadre d’une série d’entretiens filmés menée par la fondation USC Shoah créée par Steven Spielberg, ndlr]. Elle disait qu’elle aimerait que son passé soit connu de ses petits-enfants et de ses arrière-petits-enfants, que rien de son histoire ou de la grande histoire ne soit oublié. Le film répond à ce souhait et cela m’a beaucoup touchée.
VG. Il y a des scènes qui m’ont vraiment donné envie de faire ce film. Les scènes sur les toits par exemple [où on voit la jeune Tauba s’échapper furtivement de la cachette pour respirer le grand air sur les toits de Paris, ndlr], je trouvais cela très beau, très bien amené.
Outre l’interview de Tauba, à quelles autres archives avez-vous eu accès ?
ADH. Les petits-enfants de Tauba sont venus sur le tournage et ils nous ont montré des photos de leur famille. J’ai alors pu découvrir le visage de mon personnage, Rywka Zylbersztejn, la mère. Ils m’ont raconté ce qu’elle avait vécu, m’ont précisé certains de ses traits de caractère. Cela m’a beaucoup émue.
© Vincent Tessier - Bonne Pioche Cinéma, Apollo Films Distribution, Federation Pictures - 2024
Guy Birenbaum, le fils de Tauba, est coscénariste du film. Il était également souvent présent sur le plateau. Que vous a-t-il donné comme indication ?
VG. Guy était très bienveillant. Il nous a vraiment fait confiance. Il ne nous donnait pas vraiment d’indications de jeu et n’intervenait pas dans la mise en scène. Il nous a surtout montré des photographies et nous a parlé de nos personnages.
ADH. Il m’a présenté Rywka comme quelqu’un de très fort. Elle tenait la famille. Il faut savoir que les Zylbersztejn avaient déjà fui la Pologne. C’était elle qui avait pris cette décision tout comme c’est elle qui, au début du film, réagit au quart de tour pendant la rafle du Vel d’Hiv pour cacher et protéger sa famille.
VG. Guy me disait : « Telle mère, telle fille ». Tauba avait également cette force. Je pense que le film en dit beaucoup sur elle et représente bien sa soif de vivre.
Vous avez passé environ un mois et demi sur un plateau représentant une seule petite pièce. Est-ce que cela affecte le jeu ?
VH. Parfois, c’était compliqué, car nous étions sept dans une petite pièce. Mais en réalité, l’ambiance était très sympathique. Nous pouvions nous retrouver tous les jours dans les mêmes loges pour aller sur le même plateau. Chacun avait ses marques, sa place. D’ailleurs, quand nous arrêtions de tourner, nous continuions de parler en chuchotant, exactement comme nos personnages. C’est une habitude que nous avions prise.
ADH. Le lieu nous a beaucoup rapprochés. Évidemment, je connais Guillaume Gallienne depuis longtemps, mais nous nous sommes vite très bien entendues avec Violette. Cette proximité a aidé notre jeu. Il y avait moins de pudeur.
Dans La Vie devant moi, le travail du son est assez frappant. Même si on ne les voit pas, on entend les rafles qui interrompent le quotidien silencieux des personnages et les plongent immédiatement dans la terreur. Il paraît que sur le plateau, vous ne saviez pas quand ces bruits allaient arriver…
ADH. On savait qu’ils allaient déclencher le son pendant la scène mais on ne savait pas exactement quand. Nous étions habitués à ne faire quasiment aucun bruit, alors cette irruption était assez impressionnante. C’était très important pour notre jeu, puisque cela nous mettait immédiatement en alerte et en situation de survie. Cela nous a aidés à sentir cette terreur dans laquelle ils vivaient. Puis, il faut dire que je sursaute très facilement dans la vie, alors cela très bien fonctionné sur moi.
© Vincent Tessier - Bonne Pioche Cinéma, Apollo Films Distribution, Federation Pictures - 2024
Adeline, qu’est-ce qui vous a le plus touchée dans le personnage de cette mère qui est en effet le pilier de la famille mais qui, à certains moments, est sur le point de flancher ?
ADH. C’est la famille dans son ensemble qui m’a touchée. Effectivement, personne ne reste solide jusqu’au bout et c’est la famille qui permet que rien ne s’effondre. S’il y en a un qui ne va pas bien, l’autre prend le relais. Les rôles s’inversent. Puis, le fait que cette mère prenne tous les risques pour protéger sa fille, pour la sauver, c’est extrêmement beau. On sent une grande humanité.
Violette, comment avez-vous appréhendé le personnage de Tauba ? Elle est assez innocente, notamment lorsqu’elle dessine au sol, crée des jeux et des surprises pour ses parents afin d’égayer le quotidien, mais en même temps, c’est une jeune fille qui comprend très vite la gravité de ce qui se passe…
VG. Pendant le film, on voit vraiment Tauba grandir et ce, au-delà des simples changements physiques. Très vite, son innocence et sa maturité s’entrechoquent, puisqu’elle est obligée de grandir plus vite que les autres, compte tenu des événements. De là ressort sa grande force.
Violette, ce n’est pas votre premier rôle. On vous a notamment vue dans la série France 2 Ça c’est Paris avec Alex Lutz. Cette fois-ci, vous jouez avec deux acteurs de la Comédie-Française. Quels conseils vous ont-ils donnés ?
VG. Je me suis beaucoup inspirée d’eux et de leur manière de jouer. Je trouve qu’il y a vraiment une différence chez les acteurs de théâtre. Leur regard est plus précis. Il y a une plus grande attention à l’autre. Cela m’a fait comprendre qu’il ne fallait pas que j’arrête le théâtre puisque c’est le seul moyen d’atteindre ce niveau de précision. D’ailleurs, Adeline m’a donné plein de conseils pour préparer mes concours d’entrée dans les écoles de théâtre et les conservatoires, et Guillaume m’a dit qu’il pourrait m’aider à travailler la diction des alexandrins. Ils sont vraiment d’une aide précieuse.
Propos recueillis par Enora Abry
La Vie devant moi
Réalisé par Niels Tavernier
France, 2024
En 1942, Tauba, une adolescente pleine d’énergie, échappe de justesse avec ses parents à la rafle du Vel d’Hiv. Un couple, les Dinanceau, leur propose de les cacher provisoirement dans un minuscule débarras de leur immeuble, sous les toits de Paris, le temps que les choses se calment. Malheureusement, ce qui devait être temporaire s’éternise, et la famille s’enfonce dans le silence et l’immobilité. Mais Tauba est une battante, et rien ne l’empêchera de bousculer son destin.
En salles.