PLURIBUS, SAISON 1 - Vince Gilligan
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Hello Carol
Le créateur de Breaking Bad revient sur le petit écran avec une série de science-fiction, Pluribus. Cette fois, ni trafic de drogue, ni gangsters charismatiques, seulement Carol Sturka, autrice désabusée.
Lorsqu’une mutation d’origine extraterrestre contamine la Terre, l’humanité fusionne. Les sentiments et les savoirs deviennent universels, les conflits n’existent plus, tout n’est plus qu’amour et bonheur. Carol Sturka, autrice d’un best-seller de romance fantastique, est alors en pleine tournée promotionnelle de son nouvel ouvrage. Elle méprise son propre travail et encore plus son personnage masculin. En couple avec une femme, elle refuse pourtant d’intégrer son homosexualité au récit. Pour une raison obscure, Carol n’est pas contaminée par l’étrange mutation de toute l’humanité. Commence alors une difficile adaptation dans un monde qui l’adore mais qu’elle déteste, trop attachée à son individualité – ou devrait-on dire son malheur ?
Une narration à hauteur de personnage
Cette première saison ne tranche pas puisque la narration de Pluribus ne se soumet pas aux schémas habituels des séries modernes. Vince Gilligan déclarait, dans une interview accordée à Première en octobre, « J’ai confiance dans le public ». Cette responsabilisation, en voie de disparition, est franchement bienvenue, d’autant plus qu’elle se répercute largement sur la qualité de la série. Pluribus embrasse pleinement l’étrangeté de sa situation, et le vide existentiel de Carol, pour une narration à hauteur de personnage, à quoi s’ajoute une certaine faculté de transformer tout potentiel twist en non-événement, grâce au calme absolu du « monde ». C’est ce qui amène d’ailleurs à la qualité la plus admirable de la série : n’utiliser aucune facilité d’écriture. Plutôt que d’opter pour une rétention peu élégante des informations, Pluribus ne cache que peu de choses et n’abuse pas d’un suspense de circonstance puisque Carol est son seul moteur. Ces huit épisodes ne font pas qu’apporter des informations à ses spectateur·ices, ils discutent avec eux et elles et interrogent sur nos rapports sociaux, la force et les faiblesses de notre égoïsme.
L’œuvre surprend aussi par sa jonction permanente des registres. Le comique de situation, qu’il soit provoqué par le caméo du maire d’Albuquerque ou par un drone un peu trop ambitieux, n’enlève rien au malaise qui plane constamment dans les épisodes. La mise en scène, toujours grandiose, peine parfois à se faire oublier, avec ses plans parfaitement calibrés et ses palettes colorimétriques excessivement précises et étrangement réconfortantes dans les instants les plus glauques. Tout cela est à l’image de cet univers fictif à la fois ultra-pragmatique et ultra-bienveillant. L’esthétique au service des émotions n’est jamais coquetterie, puisque le projet est assez dense pour nécessiter l’art du détail.
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Madame Pas-tout-le-monde
L’anti-héros de Breaking Bad, Walter « Heisenberg » White, est devenu une icône masculine, voire masculiniste. Bien que l’écriture de la série soit assez fine pour accabler son personnage, notamment dans sa relation conjugale, son épouse Skyler est restée globalement détestée sur le Net. Walter White s’est inscrit malgré lui comme modèle de l’homme contre le monde, avec comme premier ennemi sa femme qui aurait préféré rester mariée à un ordinaire professeur de chimie qu’à un tueur surpuissant. Better Call Saul parvenait à briser instantanément ce schéma en faisant du duo Kim-Jimmy un moteur du récit et marquait la première collaboration entre Vince Gilligan et Rhea Seehorn. L’actrice prêtait alors ses traits à une jeune avocate prometteuse dont l’éthique s’opposait en permanence à une certaine appétence pour le chaos.
Carol Sturka n’a pas grand-chose en commun avec Kim Wexler, elle se rapproche plutôt des personnages masculins de Vince Gilligan, qui ne trouvent, dans leur société, aucun écho à leur rage. Tout comme Walter White, Carol se trouve incomprise dans son métier. Elle méprise ses récits sirupeux et pense mériter l’édition d’un roman plus ambitieux. Tout comme Jimmy McGill, elle a un certain talent pour créer des catastrophes. Mais Carol est aussi une femme quinquagénaire, lesbienne, artiste, aisée, souffrant très probablement d’alcoolisme, souvent hautaine et agressive, mais qui souhaite aussi être aimée.
Ce portrait peu commun pour son genre n’est jamais la raison d’être de la série (l’humanité nage en plein bonheur, les oppressions n’existent plus), mais fait écho à ses thèmes : la solitude, l’acceptation, l’individualité – ses forces et ses limites. Le patient zéro, le mannequin test, le digne représentation de notre race humaine est enfin une femme, dont on valide les émotions et la colère, même lorsqu’elles ne sont pas légitimes. Le jeu très codifié de Rhea Seehorn nous laisse souvent deviner ses réactions, ses hésitations et ses soupirs à l’avance. Les manières de Carol, ses expressions faciales et ses tics de langage, frôlant parfois le burlesque, créent une adhésion, un mimétisme avec les spectateur·ices, au-delà du caractère introverti, voire totalement renfermé du personnage.
De l’encre a coulé pour savoir si Pluribus parlait de la crise sanitaire de la COVID-19 ou de l’intelligence artificielle (le générique du premier épisode mentionne qu’il s’agit d’un travail effectué par des humains). Le calendrier du projet quant à ces actualités ne semble pas répondre par la positive, cependant il est difficile de ne pas voir, dans cette histoire d’une humanité accordée face au désir d’individualité de Carol, une représentation des algorithmes omniprésents dans notre quotidien. Cette représentation est assez humble pour ne pas prétendre apporter de jugement hâtif, et la saison un, malgré ses éléments en suspens, peut suffire pour raconter déjà une grande histoire. C’est là que l’on reconnaît non seulement une bonne série, mais une œuvre au-dessus de toutes nos attentes.
MANON FRANKEN
Pluribus - saison 1
Créée par Vince Gilligan
Avec Rhea Seehorn, Karolina Wydra, Carlos Manuel Vesga, Samba Schutte…
La personne la plus malheureuse au monde est la seule capable de sauver l’humanité… du bonheur.
Disponible sur Apple TV+