RENCONTRE AVEC ÉLISE OTZENBERGER – « Le fantastique a le pouvoir de décupler les émotions »
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Pour son deuxième long-métrage Par Amour, la réalisatrice Élise Otzenberger s’essaie au cinéma fantastique pour raconter l’histoire de Sarah (Cécile de France), une mère dont le quotidien est bouleversé par l’aveu de son jeune fils : il entend des voix quand il est dans l’eau. Elle nous raconte la genèse de ce récit aussi percutant qu’original.
Comment avez-vous eu l’idée de cette histoire ?
L’idée m’est venue en regardant mes petits garçons jouer, s’inventer des histoires. Les enfants ont la capacité de vivre pleinement leurs imaginaires. Je me suis mise dans leur posture, je me suis demandé : « Et si c’était vrai ? » À partir de là, le récit fantastique est arrivé assez naturellement.
Dans Par amour, je parle également d’une famille en crise, écrasée par les injonctions de la société et du monde, mais aussi d’une famille qui s’aime. Je voulais examiner les rapports entre la mère et ses enfants, entre la mère et son mari. J’avais l’impression qu’en racontant cela à l’aide du fantastique, j’allais être plus percutante. Le fantastique a le pouvoir de décupler les émotions, de rendre le récit plus organique.
Aviez-vous des références particulières en matière de cinéma fantastique pour construire votre récit et votre esthétique ?
Pour mon premier film, Lune de miel, j’avais choisi une esthétique plus légère, presque documentaire. Pour Par amour, je voulais avoir une approche différente, avec des images très construites que j’ai tournées en cinémascope.
J’avais en tête des films que j’ai adorés étant enfant et d’autres plus récents. Je pensais au cinéma de Spielberg, de Jeff Nichols, ou encore d’Alfonso Cuarón. Tous ces réalisateurs se servent du fantastique pour raconter l’intime, et c’était également mon ambition.
Quand on regarde votre film, on est frappé par le travail du son, notamment à travers les bruits de l’eau (les vagues, les poissons nageant dans les aquariums, la pluie)…
Je voulais un film très organique, que ce soit au son ou à l’image. Pour cela, il fallait exacerber notre perception du réel afin de faire naître le fantastique. Dans Par amour, on entend les sons (les vagues, le vent) beaucoup plus fort qu’à l’ordinaire, même si les sons ne sont pas modifiés. De même, pour les images, le ciel, par exemple, est plus brillant ou plus profond.
Cela donne l’impression que le personnage de Sarah, grâce à son fils, devient de plus en plus connecté aux éléments qui l’entourent.
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Dans Par amour, le petit garçon croit que des extraterrestres s’adressent à lui quand il est dans l’eau, dans son bain ou à la piscine. Pourquoi avez-vous choisi l’eau comme point de départ du récit fantastique ?
L’eau est un endroit important pour moi, car je fais beaucoup de plongée. Mais c’est aussi un endroit très mystérieux, qui convoque l’imaginaire. On peut penser aux films du commandant Cousteau, que j’ai beaucoup vus. C’est un élément très riche que je voulais exploiter.
Tout au long du film, le spectateur peut se demander si les extraterrestres qui communiquent via l’eau sont réels ou si Sarah et son fils ne sont pas malades…
Je voulais que chacun puisse y trouver son interprétation. Au gré des avant-premières et des discussions avec le public, je me suis rendu compte qu’il y a beaucoup d’avis différents à ce sujet. Certains ont une lecture plus cartésienne, presque médicale de l’histoire. D’autres acceptent plus facilement le poétique, le fantastique.
De tout manière, la thématique de la folie est un peu inhérente au récit fantastique. L’entourage des héros croit souvent qu’ils sont fous, en tout cas au début du film. Donc je trouvais intéressant de jouer avec cela et de laisser libre cours aux hypothèses.
Dans Lune de miel, qui racontait l’histoire d’un jeune couple sur la trace de leurs origines polonaises, vous interrogiez déjà le thème de la filiation. Dans Par amour, vous continuez cette réflexion sous un autre angle…
Quand j’écrivais Par amour, je me disais que je racontais l’histoire du couple de Lune de miel mais des années plus tard. Dans Lune de miel, il s’agissait de l’arrivée d’un nouveau-né. Là, on aborde la préadolescence des enfants, on décrit un moment de vie où le couple est déjà installé depuis plusieurs années.
Pour moi, la famille est le sujet dramatique par excellence. Je ne fais pas du cinéma d’enquête. Je fais du cinéma sur l’intime, et Par amour représente une autre étape de ma recherche personnelle.
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Souvent dans les films de genre, la figure des jeunes garçons peut être assez clichée, allant de l’asocial étrange à l’enfant machiavélique. Ce n’est pas du tout le cas dans votre film…
Je voulais que les spectateurs puissent s’identifier aux personnages. Par conséquent, il fallait que ceux-ci soient hyper-crédibles. Le danger était de se nourrir de tous les clichés ou des motifs déjà trop vus dans le cinéma de genre. Ce qui a fait la différence, à mon avis, c’est la sincérité qui se dégage du scénario.
Nous avons également réfléchi à la mise en scène pour ne pas tomber dans quelque chose de trop esthétisant, qui aurait pu renforcer certains clichés. En d’autres termes, nous voulions nous amuser des codes du genre tout en gardant notre sincérité.
Dans Par amour, il y a deux enfants : l’aîné de neuf ans qui entend les voix et son petit frère de six ans. Tous deux sont très présents à l’écran. Comment dirige-t-on des acteurs de cet âge dans une histoire aussi complexe ?
Mettre des enfants en scène au cinéma était vraiment une envie qui m’animait au départ de ce projet. Alors, je ne me suis pas laissé surprendre, j’y étais préparée. Je voulais rendre le tournage amusant pour eux. Je leur inventais des petits jeux, des petits challenges par rapport aux scènes que nous allions tourner, aux décors où nous allions, pour que tout soit très ludique. Nous devions être très rapides afin de ne pas les faire attendre, de ne pas les épuiser. Puis, il fallait aussi les préserver de certaines scènes qui auraient pu les choquer [comme des scènes de disputes assez fréquentes entre les parents, ndlr].
Comment avez-vous pensé le personnage de la mère, Sarah, incarné par Cécile de France ?
Ce personnage est né assez naturellement. C’est une mère instinctive, forte, à l’écoute de ses enfants. Pourtant, cette femme à l’origine libre s’est laissé enfermer. La famille a déménagé récemment et elle a dû mettre sa carrière de côté, à l’inverse de son mari – ce qui est malheureusement souvent le cas dans les familles où le père gagne plus d’argent que sa femme. Elle devient donc assez angoissée, conditionnée pour avoir peur de tout.
Les événements fantastiques vont lui permettre de retrouver la part d’enfance, de spontanéité qu’elle a perdue au fil des ans. De l’extérieur, sa manière d’agir peut paraître folle, mais justement, cela peut nous amener à nous questionner sur ce qui est véritablement fou et sur ce qui ne l’est pas.
Propos recueillis par Enora Abry