RENCONTRE AVEC MARYAM MOQADAM ET BEHTASH SANAEEHA - « Mon gâteau préféré est un film célébrant les femmes, la vie et la liberté »
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Dans leur troisième long-métrage Mon gâteau préféré, sélectionné en compétition à la Berlinale 2024, les cinéastes iraniens Maryam Moqadam et Behtash Sanaeeha nous invitent à découvrir l’amour chez les personnes du troisième âge sur grand écran, tout en dessinant un conte enjoué sur l’espoir et la joie de vivre, mais également sur la solitude et l’absurdité de la mort. Un film au goût inoubliable.
Vous avez commencé à collaborer ensemble en coécrivant le long-métrage Rise of Acid Rain en 2015, puis Le Pardon en 2021. Mon gâteau préféré (2024) est votre troisième long-métrage de fiction, dans lequel vous filmez la solitude et l’amour chez les personnes du troisième âge, ce qui est assez atypique et peu commun au cinéma, et notamment dans le cinéma iranien. Comment est née l'idée du film ? Et quelles étaient vos intentions avec ce film ?
Behtash Sanaeeha : Ce film est basé sur la réalité du quotidien des femmes iraniennes de la classe moyenne et se penche sur la solitude d’une femme entrant dans l’âge d’or. La réalité de la vie des femmes d’Iran a été peu racontée, et l’idée nous est venue en côtoyant des couples de personnes âgées : ils sont les mieux placés pour raconter l'histoire de l'existence parce qu’ils ont plus d'expérience en la matière. Ils sont plus proches de la mort et se sont probablement sentis plus seuls que d'autres.
Maryam Moqadam : Nous nous sommes donc dit que c'était parfait, car nous pouvions ainsi dire au public que tant que les gens ont vécu et aimé et qu'ils ont des désirs, ils sont intéressants à regarder. Peu importe votre âge et votre forme, vous êtes beaux et intéressants à regarder, ce qui contraste avec ce que nous avons l'habitude de voir dans les grandes industries cinématographiques. C’est une histoire qui va à l’encontre de l’image habituelle des femmes iraniennes et ressemble aux histoires de vie de beaucoup de personnes seules sur cette planète, sur la manière de savourer les courts et doux moments de la vie.
Mon gâteau préféré est une coproduction entre l’Iran, la France, l’Allemagne et la Suède. Bien que le film dépeigne la société actuelle iranienne, est-ce que cette coproduction a-t-elle influencé le scénario pour le rendre « plus exportable à l'international » ?
B.S. : En fait, la coproduction n'a pas eu d'impact sur le scénario, parce que nous l'avions écrit bien avant. Nous avons commencé par le marché de la coproduction à la Berlinale avec notre producteur français, et nous avons remporté le prix Eurimages, un prix très important dans le domaine de la coproduction, puis d'autres pays et d'autres sociétés d'Allemagne et de Suède et d'autres fonds sont venus nous rejoindre et nous aider dans cette coproduction. Cela n'a pas changé le scénario, mais la coproduction nous a beaucoup aidés à financer et à réaliser le film. Chacun de ces producteurs et de ces collecteurs de fonds a eu un rôle très important, mais ils nous ont rejoints une fois que le scénario était déjà prêt.
Comment avez-vous choisi vos comédiens, notamment l’écrivaine et activiste Lily Farhadpour ainsi que le comédien Esmail Mehrabi et comment s’est passée votre collaboration ?
M.M. : Nous avions déjà travaillé avec Lily dans notre dernier film, Le Pardon, pour un petit rôle. Lors de l’écriture du scénario, nous avons pensé que Lily avait le talent et qu'elle était suffisamment courageuse pour jouer le rôle de Mahin.
B.S. : Esmail Mehrabi est un célèbre acteur de cinéma iranien. Nous avions l'habitude de regarder ses films lorsque nous étions enfants, et notamment une série très célèbre qui s'appelle Hezar Dastan d'Ali Hatami. Nous avons donc pensé à eux lorsque nous avons terminé le scénario, nous leur avons donné le script à lire. Lorsqu'ils l'ont lu, ils sont venus nous voir et nous ont dit qu'ils aimaient ces rôles, qu'ils aimaient le scénario et qu'ils voulaient jouer dans le film.
Nous avons parlé tous ensemble de ses conséquences et ils en étaient conscients, mais ils nous ont quand même dit qu'ils se battraient et qu'ils défendraient le film. Nous avons donc commencé les séances de répétition, qui ont été très longues, presque trois mois, à raison de cinq heures par jour. Au bout de trois mois, ils étaient très proches des rôles et nous nous sommes dit que c'était le meilleur moment pour commencer le tournage.
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Mahin, 70 ans, vit seule à Téhéran, son mari est décédé depuis plusieurs années, et sa fille vit loin d’elle à l’étranger. Poussée par ses amies, elle décide de réveiller sa vie amoureuse en provoquant une rencontre avec Faramarz, chauffeur de taxi. La relation entre Mahin et Faramarz le temps d’une soirée est touchante, pleine de tendresse, presque irréelle, mais la fin nous laisse sur notre faim. Pourquoi ne pas avoir cherché à développer davantage cette romance ?
M.M. : Nous ne voulions pas raconter une histoire uniquement pour satisfaire le public, nous voulions raconter une histoire sur la vie réelle, et nous voulions être fidèles à la réalité. Nous voulions raconter l'histoire de la réalité avec tout ce qu'elle contient. Et la plupart du temps, la vie est pleine de moments tristes et heureux à la fois. Dans les films hollywoodiens, des fins heureuses, on en voit beaucoup. Peut-être que nous sommes satisfaits quand nous les regardons. Mais quand on veut être fidèle à la vérité, à la réalité, la vie n'est pas toujours une histoire qui se termine bien.
Mon gâteau préféré a été tourné en Iran et filme Mahin dans son intimité, chez elle, notamment sans hijab, buvant du vin et dansant avec un homme qui n’est pas son mari, ce qui va à l’encontre des restrictions imposées par le code de la censure islamique. Quelles ont été les conséquences de ces choix artistiques ?
M.M : Dès le début, nous savions que cela aurait des conséquences. Notre merveilleuse actrice principale, à qui nous avions pensé dès le départ pour le rôle, a pris un grand risque en jouant dans ce film. Peu d’actrices du cinéma iranien signeraient pour un tel rôle. Les actrices et acteurs qui participent à de tels films peuvent également en subir de lourdes conséquences.
Depuis des années, les cinéastes iranien·nes réalisent des films soumis à des règles restrictives, en respectant des lignes rouges qui, lorsqu’elles sont franchies, peuvent déboucher sur des années de suspension, d’interdiction et de complexes procédures judiciaires. Une douloureuse expérience à laquelle nous avons goûté à maintes reprises ces dernières années. Dans ce pénible contexte, nous persistons à essayer de représenter la réalité de la société iranienne dans nos films. Une réalité qui est le plus souvent perdue ou obscurcie par des couches de censure. Nous en sommes venus à penser qu’il n’est plus possible de raconter l’histoire d’une femme iranienne tout en se conformant à des lois strictes comme le port obligatoire du hijab. Des femmes dont les lignes rouges empêchent de montrer la véritable vie, en tant qu’êtres humains à part entière. Cette fois, nous avons décidé de franchir toutes les lignes rouges des restrictions et d’accepter les conséquences de notre choix de dresser un portrait réel des femmes iraniennes – des images proscrites du cinéma iranien depuis la révolution islamique.
B.S. : Mais nous avons choisi de faire ce film parce que nous pensions que c'était un moment très important pour notre nation, pour notre peuple, pour notre cinéma, de faire un film comme celui-ci. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un procès. Trois chefs d'accusation ont été retenus contre nous. La première est la propagande contre le régime. La deuxième est la propagation de la prostitution et du libertinage, et la troisième est la violation des règles islamiques par la réalisation d'un film vulgaire. Au cours des vingt derniers mois, nous avons subi ce procès, nous avons été interdits de voyage. Nous n'avons pas pu participer à la Berlinale et à toutes nos sorties dans les différents pays et dans plus de 50 festivals. Nous attendons maintenant la décision finale du tribunal. Nous ne savons même pas quand elle sera rendue. Elle interviendra peut-être dans les semaines à venir, voire dans quelques mois. Nous continuons d’attendre.
Avec la scène de l’arrestation dans un parc d’une jeune fille à cause de son hijab mal mis, Mahin défie les autorités, soutient la jeune fille et exprime une certaine nostalgie de l’époque d’avant la révolution. La préproduction de votre film a commencé à l’été 2022, soit trois mois avant les prémices du mouvement Femme vie liberté survenu à la suite du décès de Mahsa Amini. Comment cet événement a-t-il impacté votre film ?
M.M. : En fait, nous avons écrit le scénario deux ans avant le mouvement. Et cette scène figurait déjà dans notre scénario. Parce qu'en fait, nous voyons cette scène dans les rues de Téhéran et dans tout le pays tous les jours. Cela fait des années que les femmes iraniennes luttent contre des lois injustes, comme le port obligatoire du hijab, et l’absence d’égalité des droits.
Malheureusement, Mahsa a été tuée et cet événement est devenu viral dans les médias sociaux pour la première fois. Nous venions de démarrer le tournage lorsque Mahsa Amini a été tuée. Toute notre équipe était sous le choc, et dans l’état mental où nous étions, il n’était pas facile de continuer à travailler. Ce fut une période terrible. Le tournage devait se faire autant que possible en secret. Nous ne pouvions pas nous arrêter, ni ignorer ce qui se passait dans les rues. Même en nous battant, nous étions tou·tes d’accord pour faire ce film et le finir. Un film célébrant les femmes, célébrant la vie et célébrant la liberté.
B.S. : Nous avons continué le tournage, parce que nous avions la conviction de devoir finir ce film, nous étions plus motivés, la motivation était plus grande parce que nous étions tous très excités en Iran et en dehors de l'Iran que quelque chose d'important se produise avec ce mouvement, et ce mouvement est toujours en cours même s'il n'en a pas l'air pour beaucoup en dehors de l’Iran. Mais si vous venez en Iran, vous verrez que les gens, surtout les femmes, continuent de se battre courageusement !
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Quels sont vos projets à venir ?
B.S. : La seule chose que nous pouvons faire, c'est écrire. Lorsque nous sommes un peu plus détendus, ce qui n'est pas facile, nous essayons d'écrire des synopsis, et de les préparer pour le jour où nous pourrons faire un autre film. Nous ne savons pas quand nous pourrons faire un autre film en Iran, mais nous avons de l'espoir pour l'avenir.
Y a-t-il une réalisatrice dont vous aimez le travail ou qui vous inspire ?
B.S. : J'aime plein de films réalisés par des femmes cinéastes, comme La Leçon de piano de Jane Campion, ou le film Fish Tank d'Andrea Arnold.
M.M. : The Substance, de Coralie Fargeat, était un bon film et j’ai beaucoup aimé aussi Anatomie d’une chute de la réalisatrice française Justine Triet. Les réalisatrices progressent fortement et c'est une très bonne chose. On voit de plus en plus de films réalisés par des femmes. Il s'agit surtout de réalisatrices européennes, il me semble.
Pour finir, quel est votre gâteau préféré ?
M.M. & B.S. : Sans aucun doute le gâteau d’amour persan, également connu sous le nom de persian love cake ou encore kayk-e eshgh qui est un gâteau emblématique iranien. Il s’agit d’un gâteau moelleux délicatement parfumé à la cardamome, à l’eau de rose et au citron. Il est recouvert d’une couche de glace parfumée à l’eau de rose. On le décore généralement de pistaches concassées de pétales de roses séchées.
Propos recueillis par Sarah Dulac Mazinani