Male gaze : notre top
Tous les mois, la rédaction de Sorociné vous partage ses coups de cœur thématiques. En avril, Mariana Agier, Léon Cattan, Enora Abry, Victoria Faby et Manon Franken rendent hommage à des films bouleversants de justesse dans leur représentation des personnages féminins (ou pas).
Auntie Lee’s Meat Pies, Joseph F. Robertson, 1992
Avant de s’atteler au familial Dirty Western II : Smokin Guns sous le nom d’artiste Adele Robbins, Joseph F. Robertson proposait un récit religieux écologique : l’histoire flamboyante d’une adoratrice du diable envoyant ses jeunes et jolies nièces assassiner des hommes, pour faire, de leur chair, de délicieuses tourtes. Auntie Lee’s Meat Pies est l’histoire d’une sororité hors normes dans laquelle les décolletés et porte-jarretelles s’affichent sans complexes. Aucun détail n’est laissé au hasard, chaque élément de la nature est magnifié par la caméra, comme le vent s’engouffrant silencieusement sur le parking d’une station service, se glissant avec délicatesse sous la jupe de la sublime Magnolia. Une histoire forte. M.F.
Transformers, Michael Bay, 2007
Lorsqu’il adaptait pour grand écran l’histoire des jouets Transformers, Michael Bay ne le savait pas encore, mais il allait rentrer dans l’Histoire avec un grand H - ou en tout cas, dans notre histoire. Car Transformers est un exemple sublime, offert par les Dieux, de la manière dont une caméra peut sublimer un corps féminin : en l'occurrence, celui de la jeune Megan Fox, qui jouera Mickaela, le love interest (ou plutôt sexual interest, soyons honnêtes) du nerd Sam, joué par Shia Labeouf. En témoigne une scène d’anthologie, où Mickaela, jupe extra-courte et nombril à l’air, se penche sur le capot de la voiture de Sam pour en examiner le moteur. Tout y est : la caméra qui s’attarde de bas en haut sur son nombril où perlent des gouttes de sueur, les gros plans fixes sur ses seins et ses fesses, et les réactions en contrechamp de Sam qui se mord le poing de frustration. Un petit pas pour les robots-voitures, un grand pas pour l’histoire du corps des femmes. M.A.
Julie (en 12 chapitres), Joachim Trier, 2021
Vous connaissez le meme "She's so crazy I love her" ? Retrouvez sa version longue dans Julie (en 12 chapitres), où le rôle-titre, campé par Renate Reinsve, n'a rien à envier à cette femme affublée d'un sac de surgelés sur la tête. Elle partage tout du moins son esprit fantaisiste : à la fac, elle avait les cheveux roses et a couché avec un professeur. Du jamais vu. De plus, elle n'a pas peur de poser les questions qui fâchent : peut-on encore tailler des pipes après #MeToo ? La réponse va vous étonner. Ce fin portrait d'une jeune femme de son temps va encore plus loin, en abordant à travers un prisme unique la manière dont les hommes blancs qui font pourtant des blagues inoffensives sont crucifiés sur l'espace public, car la cancel culture fait rage. Enfin, ultime parti pris audacieux : centrer l'intrigue sur la vie sentimentale de Julie. Dommage que le film ne se soit pas appelé "Les mecs de Julie (en 12 chapitres)" du coup. L.C.
Miller’s Girl, Jade Halley Bartlett, 2024
Si c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes, c’est aussi avec les clichés les plus éculés qu’on fait les meilleurs films. Y’a pas de raison ! Au menu de Miller’s Girl : une romance entre un professeur charismatique (Martin Freeman) et sa jeune et brillante élève (Jenna Ortega), une représentation turbo-sexy des étudiantes alliant parfaitement chaussettes hautes et jupes courtes, le tout servi sur son lit de male gaze. Une recette parfaite pour faire hurler les féministes tout en développant un scénario sans nuances ni remises en question (pourquoi parler d’emprise quand on peut parler d’attirance sensuelle et intellectuelle ?). Avec ses magnifiques plans au ralenti sur la fumée de cigarette qui sort de la bouche peinturlurée de rouge de l’actrice, ou sur sa manière de se déhancher dans une robe de soie blanche sous la pluie, Miller’s Girl vous replongera avec une pointe de nostalgie dans ce que le porno des années 1980 a fait de mieux. E. A.
À bout de souffle, Jean-Luc Godard, 1960
Parmi les plus belles scènes de male gaze, les plus énervantes sont encore celles qui s’autoproclament artistico-intellectuelles. Un cas exemplaire, les films des années soixante du monstre sacré du cinéma français Jean-Luc Godard. Si À bout de souffle s'inscrit dans l’Histoire du cinéma comme un véritable coup de pied dans la fourmilière, ça n'est vraisemblablement que du point de vue masculin. Le film ne cesse de faire passer les violences sexistes pour des impulsions romantiques, et l’égocentrisme écrasant du personnage masculin pour une liberté intempestive. Alors oui, en un sens, le réalisateur tourne en ridicule Jean-Paul Belmondo et ses traits toxiques. Seulement, la dérision de ces violences reste encore trop gentille, car Jean-Luc Godard ne cesse de romantiser ce bagout en le rendant poétique, attachant, et même attirant. À (ne pas) redécouvrir au plus vite. V.F.